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vendredi, mars 18, 2016

Nooooooon ?!!

http://www.journaldemontreal.com/

MISE à JOUR 
  L’UPAC a frappé, et frappé fort, en arrêtant Nathalie Normandeau. Le message, pour peu qu’on le comprenne bien, est clair: la corruption n’était pas marginale au sein du gouvernement Charest. La classe politique semble ébranlée. D’ailleurs, Philippe Couillard a pris ses distances du précédent gouvernement libéral, en laissant entendre que son parti s’était transformé en profondeur depuis quelques années. C'est possible. On veut bien le croire. Mais chose certaine, une fois la stupeur passée, qui trouve absolument inconcevable les arrestations d’hier? Est-ce qu’ils sont si nombreux ceux qui, jeudi matin, sont tombés en bas de leur chaise en faisant preuve d’un étonnement absolument sincère?
En fait, voyons les choses autrement et allons au-delà des personnes concernées, qui feront affaire avec la justice et qu’il ne nous appartient pas de condamner à sa place. Il s’agit moins, ici, d’une corruption strictement individuelle que d’un système qui semble se révéler. Et on aurait tort de croire, contrairement à ce que laissent croire certains commentateurs, que tous les partis sont également touchés par cette peste. On ne parle pas ici que d’un système de financement des partis politiques mais d’un système plus général de corruption des élites québécoises. Et pour le comprendre, il faut se tourner vers l’histoire.
Évidemment, il y a des individus malhonnêtes dans chaque formation politique. Partout où il  a de l’homme, il y a de l’hommerie. Mais cela dit, les valises d’argent et les enveloppes brunes ne se distribuent pas équitablement. Plus souvent qu’autrement, cela semble toucher le Parti libéral. Non pas parce que les gens qui s’y retrouvent sont individuellement plus mauvais que les autres, même si ce parti attire probablement plus spontanément ceux qui sont travaillés par l’appât du gain et du pouvoir pour lui-même. Mais parce que le PLQ est au cœur d’un système de domination où la corruption joue un rôle structurel.
Il y près de vingt ans, le sociologue Stéphane Kelly écrivait un livre majeur, La petite loterie, où il expliquait comment aux lendemains des insurrections de 1837-1838, les autorités coloniales avaient acheté la loyauté des élites canadiennes-françaises en leur assurant des avantages politiques, sociaux et financiers. C’est le pacte honteux proposé aux élites canadiennes-françaises: elles auront une position privilégiée dans le système fédéral canadien, et jouiront du pouvoir dans la province de Québec, mais en échange, elles devront faire accepter à leur peuple un régime fédéral qui le condamne à une forme de subordination douce et tranquille. En 1867, le système s'est confirmé et institutionnalisé.
Est-ce que les choses ont absolument changé depuis? Depuis, ce système de corruption est entré dans les mœurs et plus souvent qu’autrement, nous ne le voyons plus. De temps en temps, aussi, il se révèle brutalement : c’était le cas lors du scandale des commandites quand on a vu, après le dernier référendum, le gouvernement canadien faire du zèle pour acheter les élites québécoises. Mais même lorsqu’il ne se manifeste pas de manière aussi grossière, il continue de travailler en profondeur notre système politique et de façonner structurellement la formation de nos élites. C’est ce qu’on pourrait nommer l’héritage néocolonial invisible de notre vie politique.  

lundi, janvier 04, 2016

À Montréal, les Québécois francophones sont-ils de trop?

http://www.journaldequebec.com/

MATHIEU BOCK-CÔTÉ
MISE à JOUR 
terrebonne  Il suffit de vivre à Montréal ou d’y passer de temps en temps pour constater que si c’est une ville où les Québécois francophones peuvent encore, du moins, dans certains quartiers, se faire servir dans leur langue, c'est de moins en moins une ville où la langue française est la langue commune des citoyens. Le français n’y est plus la norme, c’est une langue sur deux, et certainement pas la plus forte. Et la chose n’est plus seulement vraie au centre-ville, où le français n’est jamais vraiment parvenu à imposer ses droits.
Montréal est surtout une ville où il n’est plus nécessaire de parler français pour fonctionner quotidiennement. On fait passer cela pour un effet de la mondialisation sans jamais se demander si le régime canadien y est pour quelque chose. C’est ce qui arrive quand on décrète un peu bêtement que le politique ne compte plus dans la vie des peuples. On peut très bien vivre à Montréal sans jamais entrer en contact avec la culture québécoise, sinon pour l’éviter. Un peu comme si nous étions optionnels chez nous – et bientôt, on nous dira que nous sommes de trop.
N’est-ce pas le cas, d’ailleurs, lorsque certains Montréalais anglophones confessent souhaiter que Montréal se sépare culturellement ou institutionnellement du Québec pour ne plus avoir à se définir à partir de la référence nationale québécoise, qui écraserait son cosmopolitisme et l’empêcherait de prospérer? En gros, les Québécois francophones seraient xénophobes, sauf s’ils acceptent le rôle mineur que leur réserve le multiculturalisme montréalais. Alors, on les félicite et on les traite comme de jolis toutous domestiqués appelés à parler le bilingue et le franglais.
Ce désir de plus en plus décomplexé de dénationaliser la métropole, on l’a encore remarqué en 2013, avec le débat sur la Charte des valeurs. Plusieurs leaders montréalais voulaient que Montréal disposent d’un statut d’exception, comme si la métropole était une société distincte. Il ne s’agissait pas, ici, d’être pour ou contre la Charte des valeurs, mais d’offrir à Montréal un avenir séparé du Québec, de l’imperméabiliser contre la majorité historique francophone, comme si une forme d'humanité supérieure, parce que délivrée de l'enracinement national, devait se développer en paix dans la grande ville. C'est d'une arrogance absolue. La partition du Québec est déjà enclenchée sur le plan identitaire.
Évidemment, dans cette métropole que certains rêvent délivrée d’un Québec auquel on prête toutes les phobies, les francophones auront encore des droits, mais ils ne seront plus qu’une communauté parmi d’autres. Ils ne porteront plus la culture de convergence et devront l'accepter. Ils auront le charme des gens fiers d’être soumis, comme des petits cocus contents. En quelques décennies, nous serons passés de l’idéal d’un Montréal français à celui d’un Montréal bilingue. Les idéologues de la mondialisation viennent couvrir le crime en présentent cela comme un progrès de la diversité.
Mais l’optimisme linguistique demeure la doctrine officielle de nos élites qui répètent que tout va toujours pour le mieux, même si elles confessent discrètement, pour bien paraître, la nécessité d’une certaine vigilance pour assurer la survie du français en Amérique. Mais elles ont renoncé à faire du français une langue de pouvoir. C’est tout l’héritage de la Révolution tranquille qui se disloque sous nos yeux. Le Canada réservait depuis toujours au français un destin secondaire et il est en train de s’accomplir, comme on le voit sur la scène politique fédérale.
On aime se faire croire que la loi 101 nous a sauvés, et nous sauvera toujours. C’est faux. La loi 101 est une digue. En fait, c’en était une. Car c’est une digue fêlée, souvent torpillée par la Cour suprême et qui parvient de moins en moins à assurer l’intégration culturelle des immigrants. Nous nous réfugions derrière le mythe de la loi 101 et celui de sa toute puissance (on s’inquiète même de ses excès au moindre dérapage bureaucratique) pour ne plus avoir à réfléchir à ce qu’il faudrait faire pour assurer l’avenir français de la métropole. C’est commode. Mais c’est surtout lâche.

lundi, décembre 21, 2015

L’idéologie canadienne de Justin Trudeau

http://www.journaldemontreal.com/

MATHIEU BOCK-CÔTÉ
MISE à JOUR 
  On a tendance à réduire Justin Trudeau à un simple produit du système médiatique. C’est compréhensible: l’homme est accro aux selfies et semble mener la politique idéale pour recevoir les lauriers du commentariat, comme d’autres, à l’école, font tout ce qu’ils peuvent pour gagner le concours de popularité. Nous sommes vraiment à l’heure de la politique télégénique. Mais au-delà des apparences, il y a un fond idéologique qui se révèle depuis l’élection du Parti libéral du Canada: l’arrivée au pouvoir de Justin Trudeau représente la renaissance politique de l’idéologie canadienne. Justin Trudeau radicalise le trudeauisme hérité de son père – il s’agit, en quelque sorte, d’un trudeauisme chimiquement pur, sans scories historiques. En passant de Stephen Harper à Justin Trudeau, nous sommes passés non seulement d’un programme à un autre, mais d’une vision du Canada à une autre. Il suffirait de peu pour qu’on dise qu’en fait, nous sommes passés d’un pays à un autre.
Officiellement, Justin Trudeau est le représentant exemplaire du postnationalisme. On l’en félicite, d’ailleurs, dans la presse internationale, qui entretient généralement un préjugé négatif à l’endroit de la nation, qu’il s’agisse de la souveraineté nationale ou de l’identité nationale. Justin Trudeau lui-même présente le Canada comme un pays multiculturel et polyglotte, ce qui représente dans ce dernier cas une rupture avec son père qui conservait au moins à travers le bilinguisme officiel français-anglais une certaine conscience, aussi discrète et mutilée pouvait-elle être, de la dualité historique à l’origine du Canada. C’est sa diversité qui définirait le Canada, et plus particulièrement, son ouverture maximale à la diversité. C’est même ce qui le caractériserait. Le Canada serait le pays où la diversité ne ferait pas problème – en fait, c’est même celui qui la revendiquerait et en ferait son fondement philosophique et politique.
Depuis son élection, par ailleurs, Justin Trudeau a envoyé tous les signaux possibles pour faire comprendre qu’il faisait du Canada le symbole mondial de la rectitude politique, qu’il s’agisse de son étrange déclaration sur la parité, de la récupération médiatique de la générosité canadienne dans le dossier des réfugiés syriens, son écologisme militant ou avec le retour à une politique étrangère commandée par l’idéalisme onusien centré sur la figure mythique du casque bleu qui se veut clairement détachée du principe de l’intérêt national. Alors que Stephen Harper avait tendance à inscrire le Canada dans ce qu’on appelle l’anglosphère, ou pour le dire autrement, d’en faire une démocratie participant pleinement aux pays de langue anglaise, selon la formule prisée par les conservateurs anglo-saxons, Justin Trudeau l’inscrit pleinement dans la civilisation mondialisé et s’en fait une fierté. La rupture avec le gouvernement conservateur de Stephen Harper n’est pas seulement pensée de manière politique, mais morale, et même philosophique.
Sommes-nous pour autant dans un pays absolument postnational? Tout dépend de la manière de définir la nation – ce terme, on le sait, est souvent victime de contorsions sémantiques. Le Canada n’est certainement plus un pays historique, ancré dans une culture qui serait commune à ses citoyens: il aurait pu l’être s’il s’était construit politiquement en reconnaissant ses deux nations fondatrices, la nation britannique (ou le peuple canadien-anglais, si on préfère) et la nation canadienne-française (sa mutation identitaire l’a poussé à se redéfinir comme nation québécoise depuis cinquante ans). Dans la deuxième moitié du vingtième siècle, il a envisagé cette possibilité. Des hommes comme Robert Stanfield et Brian Mulroney ont milité en sa faveur. Il s’agissait de transcender la conquête de 1760 par un nouveau pacte constitutionnel qui consacrerait, en quelque sorte, le principe des deux nations, ou des deux peuples fondateurs.
Mais il a décidé de se construire contre son histoire – la dualité historique canadienne a été liquidée une fois pour toutes avec l’échec de l’Accord du lac Meech, en 1990, qui devait consacrer la reconnaissance constitutionnelle du Québec comme société distincte. C’est l’héritage de Pierre Trudeau, constitutionnalisé en 1982: le Canada se définira désormais comme un pays de dix provinces égales, et de citoyens eux-mêmes égaux en droit. Le Québec sera traité comme une province comme les autres et le peuple québécois sera considéré comme une ethnie parmi d’autres dans le multiculturalisme canadien. Les Québécois doivent devenir des Canadiens comme les autres. Cette redéfinition posthistorique du Canada, on la constate notamment lorsqu’il se définit exclusivement comme un pays d’immigrants: ses deux peuples fondateurs, ici, sont considérés comme des simples représentants de vagues migratoires antérieurs. Les seuls à disposer ici d’un statut particulier, ce sont les peuples amérindiens.
Le Canada apparait à la manière d’un laboratoire idéologique sans précédent où tester l’utopie multiculturaliste. Le Canada est prêt à accueillir toutes les manifestations de la diversité mondiale. Chaque peuple comme chaque religion peuvent s’y trouver à condition de s’y présenter comme une minorité parmi d’autres dans la diversité canadienne. Je le redis: cette diversité mise en scène repose toutefois sur la négation de la différence québécoise, qui est la seule à être inadmissible  - elle est en fait disqualifiée moralement. En fait, l’ouverture maximale à la diversité multiculturelle présuppose une fermeture maximale aux revendications historiques du Québec. On sait l’hostilité viscérale de Justin Trudeau pour le nationalisme québécois même le plus modéré. C’est que le Québec refuse d’être considéré comme une identité parmi d’autres dans la diversité canadienne mais prétend avoir une culture nationale suffisamment forte pour fonder sa propre communauté politique. Pour les fédéralistes, cela les amenait traditionnellement à réclamer pour le Québec le statut de société distincte – on sait que les fédéralistes du PLQ ont renoncé peu à peu à leur propre tradition politique. Pour les souverainistes, il s’agit de faire du Québec un pays. Cette aspiration est devenue tout simplement inintelligible dans le Canada contemporain.
L’identité canadienne se définira alors à la manière d’un patriotisme constitutionnel et multiculturel fondé sur la sacralisation de la Charte des droits et liberté qui représenterait le véritable socle identitaire du Canada contemporain. On la considère comme un texte sacré. Nous sommes, de ce point de vue, devant une identité non plus substantielle mais procédurale. On assiste aussi à la sacralisation de l’ordre constitutionnel de 1982, dont les juges de la Cour suprême seraient gardiens – ce sont, pour reprendre la formule attendue, les gardiens de la constitution et ils sont l’objet d’une dévotion tout à fait singulière. On dit aujourd’hui de la Cour suprême qu’elle s’est prononcée comme en d’autres temps on l’aurait dit d’une autorité religieuse indiscutable. On comprend dès lors le peu de considération de sa classe politique pour les Québécois lorsqu’ils affirment que leur droit à l’autodétermination n’a pas à être balisé par la Cour suprême : cette dernière n’est-elle pas le siège institutionnel d’une rationalité supérieure devant laquelle il faudrait s’incliner?
Car si le Canada tel qu’il fut refondé en 1982 ne se définit pas comme une nation historique, il fait preuve néanmoins d’un patriotisme exacerbé qui n’est pas sans dimension messianique. Car le Canada tire une immense fierté de son statut de pays-le-plus-avancé-du-monde. Il se love même dans un chauvinisme progressiste assez renversant qui amène ses leaders à surplomber l’humanité et à administrer systématiquement des leçons de tolérance. Les autres pays seraient encore pris dans des identités culturelles ancrées historiquement, qui les pousseraient à l’exclusion et au repli identitaire : le Canada, lui, aurait trouvé une solution politique originale appelée à s’exporter à travers la planète entière – on se rappellera même que Stéphane Dion, durant son passage dans l’opposition, proposait l’exemple canadien en matière de gestion d’une minorité sécessionniste, comme si le traitement canadien de la question du Québec avec la loi C-20 méritait une forme d’admiration universelle.
C’est une chose très importante pour le Parti libéral du Canada de croire que le Canada est le meilleur pays au monde et qu’il est en position de faire la leçon à ceux qui ne sont pas aussi avancés que lui dans la longue marche de la civilisation. On se rappellera d’ailleurs que le Parti libéral du Canada accusait le gouvernement Harper de ternir l’image de marque du Canada. Le Canada, à sa manière, veut être une superpuissance morale dans la mondialisation. Il a besoin de sentir qu’il est un phare pour l’humanité sans quoi il ne se sent pas à la hauteur de sa vocation. Le Canada ne se voit pas simplement comme un pays formidable tirant une fierté légitime de ses accomplissements: il se voit comme la prochaine étape dans l’histoire de l’humanité. Et Justin Trudeau se voit manifestement comme un Canadien aussi exemplaire qu’accompli.
Le Canada de Trudeau aurait peut-être besoin d’un peu d’humilité.

jeudi, décembre 17, 2015

L’affaire Renaud Lachance?

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MATHIEU BOCK-CÔTÉ
MISE à JOUR 
  La politique, à bien des égards, est soumise à la loi de l’éternel retour. Il ne faut jamais s’intéresser aux choses de la cité avec un optimisme exagéré à propos de la nature humaine. Le pouvoir peut élever les hommes au-delà d’eux-mêmes. C’est lorsqu’il s’élève à la hauteur de l’histoire, ou lorsqu’il parvient, laborieusement à construire un monde plus juste. Il peut aussi user les hommes, interpeller leur plus mauvaise part, les abimer. C’est dans la nature des choses qu’un système politique s’encrasse, et c’est dans la nature des choses qu’on le désencrasse de temps en temps. Au Québec, nous en étions rendus au moment du désencrassement. Depuis plusieurs années, avec la commission Charbonneau, il s’agissait d’assainir les mœurs politiques et de se délivrer d’une corruption systémique qui mine notre démocratie. Il s’agissait, en quelque sorte, de remettre à neuf nos institutions, tout en sachant qu’un jour,  elles seraient à nouveau polluées par des intérêts privés et qu’il faudrait relancer une nouvelle entreprise d’assainissement des mœurs publiques.
Mais ce qui est grave pour une société, c’est lorsqu’elle manque son moment d’assainissement de ses institutions. L’esprit public verra ses ressorts les plus intimes se briser. Le cynisme risque alors de faire la loi, et la classe politique sera assimilée, d’un seul mouvement, à une caste vorace qui s’engraisse aux dépens du commun des mortels. C’est peut-être ce qui vient de se passer avec la controverse entourant la remise du rapport de la commission Charbonneau. Un esprit fataliste se consolera peut-être en se disant que comme d’habitude, au Québec, les immenses efforts n’aboutissent pas. Mais ne nous égarons pas. Si ce rapport a avorté, c’est essentiellement la faute de Renaud Lachance, qui n’a pas su s’élever à la hauteur de la situation. Nous savons aujourd’hui qu’il a fait tout ce qu’il pouvait pour atténuer et modérer l’analyse et les conclusions de la commission Charbonneau. Nous savons surtout comment il l’a fait. Et on ne saurait réduire ce sabotage à un simple désaccord poussé jusqu’à l’exaspération avec France Charbonneau.
Il y a désormais une méthode Renaud Lachance. Cela consiste à saboter un moment démocratique fondamental en se drapant dans une vertu supérieure qui serait réservée aux êtres d’élites, aux êtres d’exception, à ceux qui savent jusqu’au dernier moment faire preuve de sagesse et d’un esprit de nuance. Il a beau être placé devant un dispositif de corruption majeur, il refuse de voir ce qu’il voit, et plutôt que de nommer les choses telles qu’elles sont, il décide de tourner autour de ce dispositif en se demandant si c’en est vraiment un. Surtout, au même moment où Renaud Lachance se félicite de sa vertu et de ses scrupules, il nous accuse, fondamentalement, de nous laisser emporter par une furie vengeresse. Le peuple voudrait des coupables à condamner, lui fera preuve d’équanimité et nous obligera collectivement à la retenue. C’est sa manière de se donner le beau rôle dans la tempête. Nous n’avons évidemment aucune raison de douter de son honnêteté. Qu’il nous soit permis de douter à jamais de son jugement.
D’une certaine manière, s’il le faut, on se passera de lui et on ne le laissera pas gâcher cet effort d’assainissement des mœurs démocratiques. La commission Charbonneau, n’a pas rien donné. Au fil du temps, elle nous a ouvert les yeux. Elle a exposé aux yeux de tous un système de corruption qui discrédite en profondeur le pouvoir politique – ce qui ne veut pas dire que chaque politicien doit être suspecté de corruption, évidemment. Évidemment, les chroniqueurs, pour être pudiques, aiment dire que tous les partis sont également responsables de cette corruption systémique. C’est une manœuvre rhétorique. Si tous les partis ont quelque chose à se reprocher en matière de financement, il ne fait aucun doute que c’est le Parti libéral qui était le pivot de ce système, même si Renaud Lachance a manifestement tout fait ce qu’il pouvait pour éviter qu’il ne soit sérieusement éclaboussé. Et quoi qu’en dise ce spécialiste du déni, les années Charest, dans l’histoire du Québec, seront considérées comme des années noires. Au fond de lui-même, le peuple le sait.

dimanche, décembre 13, 2015

Le Canada: pays bilingue de langue anglaise

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MATHIEU BOCK-CÔTÉ
MISE à JOUR 
5) Dévoilement du cabinet paritaire de Justin Trudeau  Il y a quelques semaines, on s’émerveillait du nombre de langues parlées au conseil des ministres de Justin Trudeau. Il y en aurait plus d’une dizaine. Nos médias au regard enamouré pour Justin Trudeau y ont vu une autre preuve de sa grande ouverture.
Une question était néanmoins passée sous silence. Combien d’entre eux sont bilingues? Ou plus exactement, combien d’entre eux étaient capables de s’exprimer en français et de parler dans sa langue au peuple québécois?
On l’a finalement su hier dans le Journal: ils sont 9 sur 30 dans le cabinet Trudeau à parler français. Parmi ceux-là, 4 sont Québécois. Cela veut dire, bien concrètement, que l’immense majorité des ministres libéraux anglophones ne parle pas français.
Et on ne fera rien pour qu’ils l’apprennent. Ce n’est plus nécessaire. Notre langue ne sera pas obligatoire. Le fils Trudeau enterre le rêve du père qui voulait assurer l’égalité entre le français et l’anglais au Canada. Il faut dire que c’était un rêve impossible.
Voilà un cabinet qui rassemble des hommes et des femmes ambitieux. L’immense majorité d’entre eux n’a jamais cru que la maîtrise du français serait vraiment nécessaire à l’avancement de leur carrière. On voudrait bien le leur reprocher, mais comment faire le procès de leur lucidité?
Inversement, au Québec, on exigera une bonne maîtrise de l’anglais pour n’importe quel poste. Philippe Couillard expliquait, en 2014, que cela permettrait aux travailleurs québécois de parler en anglais avec les grands patrons mondialisés qui viendraient les surveiller et les questionner sur leur chaîne de montage.
On l’a vu aussi récemment au Parti conservateur. Il devait se choisir un chef intérimaire. Encore une fois, le français n’était pas un critère d’embauche indispensable. Rona Ambrose a pu obtenir le poste.
La chef de l’opposition officielle, à Ottawa, ne parle pas français. Elle a à ses côtés Denis Lebel, un brave homme qui joue le rôle du Québécois de service et qui de temps en temps, pose une question en français pour donner l’impression que nous existons.
En un mot, le Canada d’apparat, bon pour les cartes postales, qui claironne partout son bilinguisme admirable, se décompose sous nos yeux. La réalité reprend ses droits. Les francophones y sont des citoyens de seconde zone.
Pire encore: c’est un pays qui travaille à l’assimilation des francophones, comme on le voit avec ces fonctionnaires fédéraux francophones qui trop souvent, doivent ranger leur langue au vestiaire en arrivant au boulot.
Au Québec, le bilinguisme canadien joue même contre le français. Alors que la loi 101 cherche péniblement à faire du français la seule langue officielle, la loi fédérale sur les langues officielles sape ses efforts.
Elle envoie le message suivant aux immigrants: au Québec, ils ont le choix entre le français et l’anglais. Le français n’est qu’une langue sur deux. Et à Montréal, la réalité démographique est telle que le français est entraîné dans la spirale régressive de la marginalisation.
La composition linguistique du cabinet fédéral nous envoie un message clair: Il y a deux langues au Canada: l’anglais et le traduit de l’anglais. Tout cela est à l’image de Justin Trudeau qui parle laborieusement le français. Le Canada est un pays bilingue de langue anglaise.

jeudi, décembre 03, 2015

Mourir comme projet de société

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MATHIEU BOCK-CÔTÉ
MISE à JOUR 
Une chose doit d’abord être rappelée: ce n’est pas au Canada à dire au Québec quoi faire. Nous n’avons pas besoin de la tutelle fédérale pour nous encadrer et superviser notre démocratie. Nous n’avons pas besoin non plus du «despotisme éclairé» des juges. C’est pourtant la subordination de la démocratie québécoise au cadre canadien que vient de rappeler la Cour supérieure. Que nous prenions de bonnes ou de mauvaises décisions, l’essentiel est qu’il s’agisse des nôtres. Ce principe devrait aussi guider notre réflexion en ce qui a trait au suicide assisté ou comme on dit en novlangue, sur l’aide médicale à mourir. Théoriquement, cet article pourrait s’arrêter ici.
Cela dit, il n’en demeure pas moins qu’on peut réfléchir un instant sur l’enthousiasme étrange et peut-être même morbide autour du suicide assisté dans notre classe politique et médiatique. Comment expliquer l’unanimisme officiel autour du suicide assisté? J’ai souvent rappelé de quelle manière le débat entourant le suicide assisté avait été biaisé: on a célébré la grande consultation démocratique mais dans les faits, on a laissé les opposants dans les marges et on les a transformés en militants religieux emportés par une foi tyrannique. Mais il semble quand même y avoir une adhésion populaire à cette «réforme de civilisation».
On connait l’argument des partisans du suicide assisté: il humanise la fin de vie dans une société qui prolonge considérablement l’existence grâce au progrès médical. Chacun s’imagine aisément ses derniers jours écrasés par une souffrante terrifiante, où le suicide assisté devient la seule manière, paradoxalement, de reprendre en main sa vie, en décidant de quelle manière s’en délivrer. C’est pour cela qu’on parle de «mourir dans la dignité». Chacun veut garder cette carte dans son jeu pour éviter des souffrances atroces dans une vie qui n’aurait plus aucun sens. Au cas où, comme on dit. On peut comprendre.
Mais ce qui aurait pu être présenté comme une nécessité tragique, ou comme le prix moral à payer pour l’allongement quelquefois insensé de la vie, a plutôt été célébré à la manière d’un progrès social sans précédent qui méritait nos applaudissements. Comme si le «droit de mourir dans la dignité» était le plus important des droits de l’homme et qu’il consacrait véritablement l’autonomie de l’être humain. N’y a-t-il pas quelque chose d’orwellien à présenter comme des soins de fin de vie le fait de faire de la mise à mort d’un homme un soin médical parmi d’autres, aussi humaniste cette mise à mort soit-elle?
Dans une scène poignante de son roman La carte et le territoire, Michel Houellebecq a montré à quel point il y avait une forme de barbarie technocratique dans l’euthanasie. La mort, qui n’est pourtant pas un moment parmi d’autres dans la vie, est transformée en banalité médicale sans mystère ni profondeur existentielle. On a sous-estimé à quel point le suicide assisté représente une révolution anthropologique majeure et à quel point il heurte une certaine idée de l’humanité notamment alimentée par l’anthropologie chrétienne. Il est vrai qu’on ne veut plus entendre parler de cette dernière.
Au-delà de cela, n’y a-t-il pas quelque chose de sordide à s’enthousiasmer pour la mort, à la dissoudre dans la logique des droits, comme c’est le cas actuellement, et à l’inscrire ensuite dans la logique de l’État-providence? Ne devrait-il pas y avoir une forme de prudence philosophique devant l’euthanasie? Ne devrions-nous pas rencontrer ici quelque chose comme un interdit moral? À moins que la société québécoise ne soit à ce point enthousiasmée par tout ce qui se réclame de la modernité qu’elle ne croit plus nécessaire de poser certaines limites à ce désir de toute-puissance, qui pousse jusqu’à celui de l’autodestruction.
Je sais bien ce qu’on répondra: la loi québécoise est très strictement balisée. Elle ne permet pas le suicide assisté dans n’importe quelle situation. Nos parlementaires ont tout fait ce qu’ils pouvaient pour faire du suicide assisté une exception. Mais la loi n’est toutefois pas à l’abri des dérives. À terme, on peut s’attendre à une extension du domaine de la souffrance donnant droit au suicide assisté. Mais on devrait quand même se rappeler que cette loi est peut-être elle-même une dérive tant elle repose sur une transgression grave du caractère sacré de la vie humaine. À moins que cette idée aussi ne soit qu’une vieillerie.
Cela ne veut pas dire que le suicide assisté est en lui-même toujours condamnable. Il est même parfaitement compréhensible dans certaines circonstances. Mais ne devrait-il pas demeurer derrière un voile d’ombre? Certaines choses, pour demeurer légitime, doivent demeurer absolument exceptionnelles ou du moins, ne pas recevoir la reconnaissance du droit et de la morale publique. Il est vrai qu’une telle idée entre en contradiction avec l’exigence contemporaine de la transparence absolue, mais c’est peut-être cette dernière qu’il faudrait questionner.
J’y reviens car la chose est importante: ce n’est pas aux autorités canadiennes à nous faire la leçon et à tenir la bride à l’Assemblée nationale. Les réserves que j’exprime ici s’inscrivent entièrement dans le cadre de la démocratie québécoise. Mais nous n’avons pas fini d’examiner la signification culturelle et même philosophique de cet étrange droit qu’a reconnu la société québécoise, et qui en dit beaucoup sur le nihilisme dans lequel nous croyons apercevoir le visage du progrès. 

mercredi, novembre 11, 2015

Petit retour sur les élections partielles

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MATHIEU BOCK-CÔTÉ
MISE à JOUR 
Petit retour sur les élections partielles.
  Le PQ est trop fort pour disparaître mais trop faible pour s'imposer seul comme alternative aux libéraux. Il demeure la figure centrale de l’opposition mais ne parvient pas à occuper toute la place de l’opposition. La tendance lourde, par ailleurs, ne laisse pas croire à une restauration prochaine du bipartisme, qui serait évidemment à son avantage et l’avantage des souverainistes.
La CAQ, quant à elle, ne parvient manifestement pas à s'imposer comme alternative au PQ mais dispose d'une surprenante capacité de rebond et dispose sinon de bastions, du moins de vrais appuis, dans les 450. On a annoncé souvent sa disparition. Elle a survécu. Le créneau politique qu'elle occupe, celui d'un nationalisme de centre-droit non-souverainiste, n'est pas artificiel.
QS, enfin, ne parvient pas à sortir de Montréal mais a une réelle croissance dans la métropole. Il dispose aussi d'un appui bien réel dans les milieux intellectuels et dans la jeune génération montréalaise qui voit dans le PQ l'équivalent d'une nouvelle Union nationale. Dans quelle mesure le PQ pourra-t-il résister à sa poussée?
Résultat de tout cela: le vote antilibéral est absolument dispersé et condamne le nationalisme québécois à l'opposition. Est-il possible d'imaginer entre ces différentes forces politiques quelque chose de commun? Théoriquement oui. Il y a un intérêt national québécois qu’on peut apercevoir au-delà des lignes de fracture idéologiques. Il ne faut pas non plus relativiser la profondeur de leurs divisions.
Mais la vision stratégique de chaque parti empêche cette vision commune de l'intérêt national d'émerger.
Le problème est à peu près le suivant : le PQ croit encore, malgré tout, à sa capacité d'arriver seul au pouvoir. Il continue de considérer la CAQ et QS comme deux anomalies appelées tôt ou tard à se résorber. Il veut voir dans leur existence un dérèglement temporaire du système politique québécois. Peut-être a-t-il raison. Mais peut-être a-t-il tort. Car il se pourrait que le système politique québécois soit désormais structurellement déréglé. On peut y voir un effet du régime canadien, qui depuis longtemps, pousse à une division exagérée les Québécois francophones et empêche l’intérêt national québécois de se dégager pleinement. Certains répondent qu'il est normal que les électeurs se divisent en démocratie. C'est juste. Mais on rappellera quand même que les anglophones et les allophones, eux, ne se divisent pas du tout et font de chaque élection un petit référendum contre la souveraineté.
La CAQ espère remplacer le PQ en misant sur l’effondrement de l’option souverainiste avant ou après les prochaines élections québécoises. On devine le raisonnement de ses stratèges : les Québécois veulent moins que jamais de la souveraineté alors que le PQ a l’intention, manifestement, de tout miser sur elle. Tôt ou tard, doivent-ils se dire, le PQ éclatera. Il y a aura un vide à combler et la CAQ le comblera. Dans ce scénario, le PQ deviendrait alors un tiers-parti indépendantiste. Il est bien possible, toutefois, que les deux partis cohabitent longtemps et se neutralisent l'un et l'autre.
Finalement, QS croit à sa croissance continuelle et s’imagine un jour remplacer le PQ en fondant dans une même option la gauche et la souveraineté. QS se dit que cette grande marche prendra du temps mais qu’il y parviendra. Par ailleurs, le fait que QS ne croit d’aucune manière que le projet souverainiste soit lié au poids de la majorité historique francophone dans la population lui permet de croire, et de faire croire, qu’il n’y a aucune urgence démographique dans la poursuite de la souveraineté.
Quelle leçon retenir de tout ça? Le PLQ domine. Et si la tendance se maintient, il dominera longtemps.

mardi, octobre 06, 2015

La passion érotique pour les armes à feu

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MATHIEU BOCK-CÔTÉ
MISE à JOUR 
C’est une des vraies tares de la culture américaine: la passion morbide pour les armes à feu. Je ne parle pas d’une passion de collectionneur ou de chasseur, mais de celle qui pousse les hommes et les femmes à s’acheter des armes automatiques, normalement vouées aux soldats et autres spécialistes de la guerre. Pourquoi veulent-ils posséder pour eux le feu meurtrier? Très régulièrement, on apprend qu’un maniaque qui avait chez lui tout un arsenal, ou qui a pu mettre la main légalement sur un fusil d’assaut ou une mitraillette, a massacré des gens dans un cinéma ou dans une université.
On nous dira que ce ne sont pas les armes qui tuent mais les hommes, et surtout les fous. On l’a encore entendu récemment. Certes. Mais ce n’est quand même qu’une esquive rhétorique. Pour l’essentiel, ils tuent avec des armes. Et si certaines figures éclairées de la politique américaine cherchent, étape par étape, à limiter la diffusion des armes à feu, à exercer sur elles un plus grand contrôle, on constate que le lobby pro-armes dispose, sans mauvais jeu de mots, d’une puissance de feu médiatique considérable qui peut aisément intimider ceux qui se dressent contre lui. Ce lobby n’aurait pas autant d’efficacité s’il ne disposait d’un vrai enracinement populaire.
On peut naturellement blâmer l’industrie des armes, et on le fera. Mais comment ne pas constater que la passion des armes est profondément inscrite dans les plis les plus intimes de la culture américaine? Voilà un pays qui n’accepte tout simplement pas que l’État dispose du monopole de la violence légitime. Pour les uns, il s’agit d’un simple moyen d’autodéfense au cas où leur vie serait en danger. Pour d’autres, traversés par l’imaginaire milicien, il s’agit de conserver les moyens de la liberté politique contre un gouvernement qui pourrait devenir tyrannique. Pour le dire d’un euphémisme, c’est déjà beaucoup plus louche.
Mais pour d'autres, les armes représentent souvent une forme de compensation sociale. Ils retrouvent là la puissance qui leur manque dans leur vie. Les armes leur donne le sentiment d’une toute puissance. Qu’ils en soient conscients ou non, ils n’aiment pas seulement de beaux objets: ils savent le pouvoir dont ils disposent avec leurs carabines, leurs mitraillettes, leurs pistolets. Consciemment ou inconsciemment, ils jouissent de pouvoir tuer. Quand cette puissance passe entre les mains d’un homme habité par la folie psychopathe, le carnage peut surgir à n’importe quel moment.
On le sait, il y a aux États-Unis une fascination érotique pour les armes à feu. Dans les salons qui en assurent la promotion, on les voit souvent associées à des femmes en petite tenue, comme si la possession d’une arme de gros calibre, à la manière d’un substitut phallique, pouvait donner à un homme les moyens de séduire celle qu’il désire. Une chose est certaine: l’incapacité américaine à contrôler les armes témoigne d’une impuissance politique et culturelle à réguler ce qu’on assimilera, dans un vocabulaire passé de mode, à la pulsion de mort. On pourrait même dire qu’il s’agit d’une faille de civilisation.
Il n’en demeure pas moins qu’on n’explique toujours pas par-là la multiplication des tueries. Qu’est-ce qui fait qu’un jour, un homme décide de prendre ses armes, d’aller à l’école ou l’université du coin, et d’arroser de balles ses concitoyens? On dira qu’il s’agit d’un malade. Peut-être. Mais derrière la maladie, il faut peut-être aussi chercher à voir le mal pur, le désir de destruction. L’homme qui massacre se suicide souvent ensuite, comme s’il voulait, à la manière d’un petit dieu, dominer le monde dans un désir de toute puissance et s’abolir ensuite avec lui. C’est un peu comme si une digue civilisatrice manquait dans la culture américaine. On ne voit pas qui parviendra à la construire.

mardi, septembre 01, 2015

Démanteler le Québec ?

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Mathieu Bock-Coté
La question des dédoublements n’est pas nouvelle au Canada. Elle se pose ainsi: les bureaucraties fédérale et provinciale s’enchevêtrent sur le territoire québécois. C’est inefficace et ça coute très cher en plus de compliquer souvent la vie des citoyens. La solution des nationalistes est simple: qu’Ottawa se retire et reconnaisse ainsi l’autonomie québécoise. Les souverainistes vont plus loin: il y a trop d’États au Québec, il y en a deux, et celui qu’il faut sacrifier, c’est l’État canadien. On pourrait dire que la plupart des gens s’entendent sur l’essentiel: pourquoi ne pas en arriver à un seul rapport d’impôt? Ce n’est pas surprenant : pour la grande majorité des Québécois, leur vrai gouvernement est à Québec.
Les libéraux ont décidé de résoudre cette question à l’envers. C’est l’État québécois qui est de trop et qu’il faut démanteler morceau par morceau. C’est ce qu’il faut comprendre du rapport Robillard qui ne propose rien de moins que le transfert de la collecte des impôts à Ottawa. Voyons la chose du bon côté: il prend au sérieux le problème des dédoublements entre Ottawa et Québec. Autrement dit, le Canada tel qu’il est ne fonctionne pas parfaitement et sa structure actuelle multiplie les carences administratives qui coûtent cher. En un mot, on devrait s’y intéresser et cesser de croire que le royaume des vraies affaires n’a absolument rien à voir avec l’organisation politique de la fédération. Le rapport Robillard poussera-t-il les Québécois à se rappeler qu’ils vivent dans une fédération qui leur coute cher et qui fonctionne mal?
La proposition de Lucienne Robillard est certainement conforme à l’orientation du gouvernement Couillard, qui adhère à une version si radicale du fédéralisme qu’il en vient jusqu’à nier complètement la question nationale. Philippe Couillard n’a-t-il pas souhaité récemment jusqu’à la disparition du mouvement souverainiste, dont l’idéal serait si toxique qu’il ferait régresser à lui seul le Québec, même lorsqu’il est dans l’opposition? Martin Coiteux a bien pris la peine de ne pas fermer la porte à la proposition de Lucienne Robillard, en prétendant refuser tout dogmatisme. Mais il n’y a qu’au Québec où l’attachement à la nation et aux instruments qui assurent son autonomie fiscale relève du dogmatisme. Exister, dans notre cas, c’est déjà dépasser les bornes.
Il ne s’agit plus seulement du démantèlement des acquis de la Révolution tranquille, mais plus largement, des conquêtes du nationalisme québécois. Le gouvernement Couillard en est un de liquidation nationale. On se demandera alors pourquoi il faudrait s’arrêter en chemin : dès qu’il y a un dédoublement entre Québec et Ottawa, faut-il en conclure que le Québec doit battre sa coulpe et proposer d’abolir le programme de trop? On aura compris l’essentiel: pour Lucienne Robillard et ses amis du nouveau PLQ, c’est le Québec qui semble de trop. Le jour où il se sera fait tout petit au point de ne plus déranger personne, alors nous serons prospères, libres et heureux.

jeudi, août 27, 2015

Le Bloc et la base indépendantiste

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Mathieu Bock-Coté
  Le dernier slogan du Bloc est dénué d’ambiguïtés : «Qui prend pays prend parti». Il entend mobiliser la base indépendantiste et surtout, la détourner du NPD. Il faut distinguer la base indépendantiste de l’ensemble des sympathisants souverainistes. La première fait environ 25% et croit la question nationale fondamentale. À chaque fois qu’elle vote, elle se pose d’une manière ou d’une autre la question du pays. Les sympathisants souverainistes qui font monter le camp du Oui à 40% et des poussières veulent bien se dire favorables au pays, mais d’autres considérations dominent leurs préférences électorales, surtout en ce moment.
Cette stratégie est-elle la bonne? Probablement. À condition qu’on reformule la question en se demandant s’il y en avait une autre possible. Et la réponse est non. Qu’on le veuille ou non, le NPD a le vent dans les voiles au Québec. D’un sondage à l’autre, il confirme son hégémonie électorale. À peu près étranger au Québec il y a quatre ans, condamné pendant plusieurs décennies à la marginalité politique, il s’impose désormais comme la principale voix politique québécoise sur la scène fédérale. À travers lui, manifestement, les Québécois ont l’impression de se faire valoir comme société distincte. On peut leur reprocher mais c’est ainsi.
Il y a bien des manières d’expliquer cela. Mais on peut isoler, dans les circonstances, une explication particulière. On paye peut-être le prix en ce moment de la diabolisation de Stephen Harper. Depuis près d’une décennie, on l’a présenté comme un monstre absolu, un tyran sans foi ni loi, un taliban du grand noir, un gredin, un truand, un bandit. Ce n’était pas seulement un mauvais premier ministre, ou un homme gouvernant le Canada à partir de l’Ouest et en négligeant les intérêts du Québec: c’était un homme mauvais, conspirant à peu près consciemment contre la planète et contre l’humanité.
La conclusion tombe alors abruptement. Il n’y a plus qu’une chose à faire : il faut chasser Harper, le battre à tout prix. Il faut en finir avec lui. Une bonne partie de l’électorat en est là. Une bonne partie des sympathisants souverainistes aussi. On a beau faire valoir d’autres considérations électorales, la même sentence tombe toujours : en ce moment, il s’agit d’en finir avec les conservateurs. Et pour cela, mieux vaut voter pour des «progressistes» de gouvernement, comme le NPD, que pour des «progressistes d’opposition», comme le Bloc – d’autant que le réflexe qui pousse à voter Bloc, quoi qu’on en dise, est nationaliste avant d’être progressiste.
Étrange conclusion : cela revenait-il à dire que sans Stephen Harper, le Canada était soudainement tolérable, et même, habitable et agréable? Il suffirait d’en finir avec ce vilain premier ministre pour en faire à nouveau le pays du peuple québécois? On oubliait ainsi peu à peu de critiquer le régime pour critiquer exclusivement le gouvernement canadien et plus encore, l’homme qui était à sa tête. On contribuait ainsi à vider la question nationale de sa substance, à la rendre incompréhensible. Le problème ne serait plus l’appartenance du Québec au Canada, ou les termes désavantageux de cette appartenance: ce serait le chef du gouvernement canadien.  
Le Bloc peut bien répondre que le Québec a beau avoir massivement voté NPD en 2011 sans que cela n’empêche les conservateurs de devenir majoritaires, l’argument ne semble pas trop percer les consciences. Il confirme pourtant ce que nous savions déjà: le Canada anglais est désormais délivré politiquement du fardeau québécois. Il peut se bâtir une majorité électorale conservatrice sans l’appui du Québec. En un mot, la minorisation politique du Québec est achevée dans un pays qui, de toute façon, n’a pas voulu reconnaître son identité. Et si le NPD l’emporte, il devra gouverner en fonction des intérêts canadiens. Mais pour l’instant, cela indiffère les Québécois.
Longtemps, le Bloc a joué la carte de la défense des intérêts du Québec. C’était la force politique dominante au Québec et le nationalisme, à ce moment, se canalisait encore pour l’essentiel vers l’option souverainiste. Aujourd’hui, le nationalisme, ou ce qui en reste, s’est détaché de l’obligation souverainiste. L’appel aux intérêts du Québec ne fonctionne vraiment qu’à condition que le Québec soit conscient de la situation précaire de ses intérêts dans le Canada. Le bassin d’électeurs susceptible d’entendre le message du Bloc régresse. On comprend dès lors son appel direct aux souverainistes les plus convaincus: eux seuls peuvent vraiment voter pour lui cette fois. Il n'est pas certain, toutefois, que tous les leaders indépendantistes voudront faiire de cette élection un test pour leur option.

jeudi, juillet 02, 2015

Ne pas fêter le Canada

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Mathieu Bock-Coté
Canada drapeau unifolié   Je n’ai rien contre le fait qu’on fête le Canada à Vancouver, Toronto, Halifax. On peut même le fêter à Westmount. Nos anglos y sont viscéralement attachés et on ne leur reprochera pas. Mais on ne peut quand même pas taire la réalité: au Québec, la fête du Canada est une immense orgie publicitaire permettant au gouvernement fédéral de nous administrer sur une base annuelle une propagande à gros grain, pour nous enfoncer dans la gorge un pays auquel nous n’appartenons fondamentalement pas et qui nous est fondamentalement étranger.
La fête du Canada, c’est l’occasion d’une débauche de fonds publics (qui n’indigne jamais nos fédéralistes de droite, étrangement) pour nous dire que nous vivons dans le meilleur pays au monde. Un pays qui a toutefois cette particularité de ne pas nous reconnaître comme peuple, ni même comme société distincte, et de nous traiter de plus en plus comme une grosse minorité ethnique folklorique dont on a de moins en moins besoin pour faire fonctionner le système. Nous l’avons peut-être fondé en 1534 ou en 1608. Mais nous en avons été expulsés en 1982.
Le 1er juillet, on prépare des discours, on cherche à montrer à la télévision des quidams enjoués avec l’unifolié peint sur les joues. Il faut les chercher longtemps et plus encore si on veut qu’ils parlent français. On ajoutera au 1erjuillet les compétitions sportives: Ottawa sait jouer à son avantage du patriotisme sportif. Mais la réalité remonte à la surface une fois l’effervescence des médailles passée: le peuple québécois n’est pas une fiction idéologique mais une réalité inscrite dans l’histoire, même si son enfermement canadien distord son identité collective et l’empêche de s’assumer pleinement.
L’objectif d’Ottawa, depuis toujours, c’est que les Québécois se sentent Canadiens d’abord et Québécois ensuite. On est bien prêt à tolérer notre réalité nationale à la manière d’une différence ethnique de carte postale. Mais on ne veut y reconnaître aucune conséquence politique significative. L’histoire du fédéralisme canadien, depuis cinquante, c’est celle d’un refus souvent réitéré de reconnaître le fait national québécois. Aujourd’hui, on nous croit vaincus pour de bon et on ne prend même plus la peine de porter attention à nos revendications historiques.
Qu’on ne me comprenne pas mal. Je ne déteste pas le Canada. Pas du tout même. C’est un pays honorable envié partout sur la planète. Mais je ne comprends pas trop ces souverainistes qui veulent avoir l’air si raisonnables et modérés qu’ils expliquent doctement ne rien reprocher au Canada et n’avoir aucun grief particulier contre lui. Évidemment que ce n’est pas le goulag, pour reprendre la formule de René Lévesque. Évidemment qu’on y vit paisiblement. Mais on aurait pourtant tort de faire semblant que tout va bien. Car c’est terriblement faux.
Le Canada nous anglicise et conteste chez nous le statut de la langue française. Il nous traite comme une minorité parmi d’autres dans son grand bazar multiculturel et dérègle l’intégration des immigrants. Il nous a imposé une constitution sans croire nécessaire de nous voir la signer. Il a réinventé le pouvoir de désaveu en permettant à la Cour suprême d’invalider les lois adoptées par l’Assemblée nationale. C'est lui qui décide ce que nous avons le droit ou non de faire avec nos institutions. On pourrait poursuivre longtemps cette liste. Si nous y restons, il finira par nous digérer.
Je lui souhaite certainement bonne fête. Mais je ne nous la souhaite pas. Aujourd’hui, ce n’est pas la nôtre.

mardi, juin 16, 2015

Chasser Harper à tout prix ?

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Stephen Harper, Triomphe, gala
PHOTO ARCHIVES / AGENCE QMI

Mathieu Bock-Coté
Notre époque invente des phobies à la douzaine. Ce vocabulaire est exaspérant au possible, mais tant qu’à le subir, aussi bien en faire usage de manière originale pour en nommer une nouvelle, qui dérègle l’esprit de bien des Québécois: la peur obsessive de Stephen Harper, qui en amène plusieurs à faire de son éviction aux prochaines élections leur priorité absolue. Harper, c’est le mal incarné. Harper bouffe les enfants. Harper, c’est le Taliban en chef d’un pays froid. Harper, c’est le superméchant qui ruine la réputation du Canada à travers la planète. C’est le pire pollueur de la terre et c’est un autocrate, en plus de cela. Je résume ici en quelques formules l’image du premier ministre du Canada au Québec. En un mot, depuis des années, Stephen Harper a été diabolisé.
Évidemment, le personnage est critiquable et son gouvernement l’est encore plus. Le Parti conservateur est aligné sur les exigences de l’Ouest canadien et le Québec est plus souvent qu’autrement désavantagé par les décisions d’Ottawa depuis 2006. On ajoutera que le mépris qu’a ce gouvernement pour le français est renversant. Un souverainiste dirait méchamment que c’est le prix à payer pour rester dans un pays qu’on ne contrôle pas. On ne peut pas consentir au lien canadien puis se désoler ensuite d’en subir les conséquences. Il y a des limites à l’incohérence. Vivre au Canada, c’est vivre dans un pays qui peut se passer de l’adhésion du Québec lorsque vient le temps de se choisir un gouvernement. Le fédéralisme, c’est à bien des égards une rationalisation de notre soumission dans un pays qui nie notre existence comme peuple fondateur et qui s’est déjà permis de nous imposer une constitution sans notre permission.
Mais à vouloir en finir à tout prix et au plus vite possible avec Stephen Harper, les Québécois ne risquent-ils pas d’oublier certains éléments dont ils devraient tenir compte dans leur analyse de la politique fédérale? Ces jours-ci, une question s’impose: pour qui voter s’il faut en finir avec Harper? Depuis 2011, les Québécois semblaient s’être décidés: le NPD serait le nouveau véhicule de leurs aspirations collectives à la chambre des communes. Sauf qu’en quatre ans, le NPD n’a jamais pris la peine de développer un discours un tant soit peu attentif aux intérêts du Québec. C’est à  bien des égards surprenant, surtout qu’il a bénéficié du vote nationaliste. Mais il n’est pas le seul à se montrer indifférent aux intérêts québécois. Ni le PLC, ni le PC n’ont développé une plate-forme spécifique pour le Québec. On ne se soucie plus de sa place dans la fédération. Convenons d’une chose : les Québécois eux-mêmes ne s’en soucient plus.
Les partis fédéraux entendent simplement gagner le Québec en misant sur leurs «valeurs» respectives. Le NPD dira qu’il représente mieux les valeurs progressistes des Québécois contre le gouvernement Harper qui les bafoue. Le PLC dira la même chose. Les conservateurs, eux, diront représenter les vraies valeurs des Québécois contre leurs propres élites médiatiques et culturelles qui trahiraient leurs préférences profondes. Ils se présenteront comme les gardiens de nos vraies valeurs, trop souvent étouffées par la rectitude politique. Au fond d’eux-mêmes, les Québécois seraient plus souvent en accord avec les conservateurs qu’on ne le dit. Il leur resterait seulement à le découvrir. En gros, chaque parti fédéral se présente comme le vecteur de nos valeurs, comme son meilleur traducteur politique.
Ce qui disparait à travers cela, ce sont les intérêts du Québec, à moins de les réduire à de simples préférences morales de gauche ou de droite dont on devrait tenir compte dans la construction du Canada. On ne pose plus la question d’un pouvoir québécois et on se contrefiche de ce qu’on appelait autrefois nos revendications historiques: on se contente de voir de quelle manière les valeurs qu’on nous prête, qu’elles soient de gauche ou de droite, nous permettront de construire un Canada qui nous ressemble. À bien des égards: c’est une nouveauté historique. Les Québécois savaient traditionnellement qu’ils étaient une minorité la fédération et défendaient conséquemment leurs droits nationaux. Ils savaient qu’ils n’étaient pas des Canadiens comme les autres et ils en tiraient quelques leçons.
Mais puisque le Québec contemporain se vit à l’écart de la question nationale et ne s’imagine plus subordonné d’aucune manière dans le Canada, il croit désormais pouvoir vivre la politique fédérale sur un registre «normal». Nous vivons une forme de souveraineté psychologique qui n’est pas adossée à la souveraineté politique. Nous ne croyons plus devoir nous soucier de notre place dans le Canada non plus que de l’autonomie du seul gouvernement contrôlé par une majorité de francophones. On trouve même des souverainistes «de gauche» pour dire qu’ils en ont assez de voter à Ottawa à partir de la question nationale. C’est comme s’ils voulaient, le temps d’une élection, du moins, se délivrer de leur nationalisme et adhérer à un progressisme pur.
À terme, cela nous coupe de la réalité. Les Québécois, à Ottawa, ont des priorités étrangement éthérées, très peu liées à leurs intérêts nationaux. Ils veulent sauver l’environnement, dénoncer la guerre, œuvrer pour la paix dans le monde, et ainsi de suite. C’est très bien. On ne peut pas être contre la vertu. Mais il est fascinant de voir à quel point ils peinent à identifier leurs intérêts spécifiques, particuliers, nationaux, que ce soit en matière environnementale, économique, internationale ou linguistique. Le Québec contemporain se définit de moins en moins comme une nation et de plus en plus comme une société et se complait dans une vision apolitique, ou dépolitisée, de son existence collective. Tôt ou tard, il en paiera le prix.
Si jamais le NPD devenait majoritaire à Ottawa et y parvenait grâce à l’appui du vote québécois, on pourrait dire que les Québécois auront contribué, de manière à tout le moins paradoxale, à la mise en place d’un des gouvernements les plus centralisateurs de l’histoire canadienne, qui entend étendre de manière radicale l’État fédéral, notamment en empiétant comme jamais sur les compétences provinciales, que ce soit en matière d’éducation ou d’affaires municipales. Faudrait-il s’en réjouir? Ne s’agirait-il pas d’une perte d’autonomie majeure pour le Québec et cela, à un moment où le gouvernement libéral à Québec semble condamner l’État québécois à l’impuissance et pratique le fédéralisme pur et pur?
Le retour de Gilles Duceppe a redonné politiquement vie au Bloc. Quels que soient nos désaccords avec ses idées ou avec sa manière d’avoir gouverné le Bloc pendant près de 15 ans, il faut convenir qu’il restaure la crédibilité de l’option souverainiste sur la scène fédérale. Il redonne un véhicule explicite au nationalisme et il rappelle que le Québec n’est pas qu’une province sur dix. On lui en veut de dire qu’il  appuiera le PC ou le NPD au choix, selon ce qu’ils offriront au Québec. C’est pourtant une attitude de bon sens élémentaire : le Québec ne gouvernera jamais le Canada et il est structurellement dans l’opposition. Avant d’être de gauche ou de droite, les partis fédéraux sont des partis canadiens, au service du Canada. Eux le savent, même si les Québécois ne le savent plus. La question que devraient se poser les Québécois est simple : de quelle manière défendre leurs intérêts devant un gouvernement qui inévitablement, leur échappera?
Le Bloc devra définir sa stratégie prochainement. Gilles Duceppe suivra-t-il la ligne orthodoxe définie ces derniers mois par Mario Beaulieu? Reviendra-t-il à sa stratégie classique de 2011? Quelle serait la position du Bloc si le prochain gouvernement fédéral était minoritaire? À quelles conditions l’appuierait-il ? Quelles seraient ses revendications? Tout cela est terriblement concret: cela forcera le Bloc à définir selon lui les termes les plus fondamentaux de l’intérêt national. À tout le moins, il a une vertu : il rappelle que le Québec a des intérêts fondamentaux que le régime de 1982 (ni même celui de 1867) ne peut satisfaire. On se demandera aussi : quel rôle se donnera le Bloc dans la stratégie souverainiste qui se dessine actuellement au Parti Québécois?
Si jamais la souveraineté est définitivement vaincue, un jour, il se peut que le nationalisme québécois doive s’investir à Ottawa, comme en d’autres temps, des nationalistes comme Marcel Masse s’y étaient investis. Ce serait alors une position de repli honorable. Mais pour l’instant, s’ils votent massivement pour le NPD sans que ce dernier n’ait même cherché à définir une plate-forme spécifique pour le Québec, ils neutralisent simplement leur nationalisme dans un parti qui en tire avantage sans rien donner en retour. On n’ira pas jusqu'à dire qu’il s’agit là d’un comportement politique suicidaire. On dira à tout le moins qu’il s’agit d’un comportement inconscient.