L'autre moment où les Québécois ont exprimé un vif ressentiment envers Ottawa, c'était à l'époque de la commission Gomery, qui a exposé les abus du programme des commandites, censé promouvoir le Canada au Québec. En 2005, le taux d'appui à la souveraineté a dépassé les 50 % dans les sondages, mais le gouvernement fédéraliste libéral de Jean Charest exerçait le pouvoir au provincial, rendant impossible la tenue d'un référendum.
Selon cette théorie de la confrontation, Matt Qvorturp estime que l'arrivée de Justin Trudeau à la tête du pays pourrait déboucher sur un nouveau référendum, « quand l'aura de Trudeau se sera dissipée ».
Au lendemain de son élection, le premier ministre désigné s'est dit « profondément touché de voir à quel point les Québécois ont décidé de se réengager au sein d'un gouvernement du Canada ». Mais il pourrait s'agir là d'une bombe à retardement.
Le retour d'un premier ministre québécois à la tête du pays augmente les chances de créer des frictions avec le Québec, comme ce fut le cas sous Pierre Elliott Trudeau, Brian Mulroney et Jean Chrétien. D'autant plus que le chef libéral a une vision plutôt négative du nationalisme québécois, qu'il a déjà qualifié de « vieille idée du 19e siècle » basée « sur une petitesse d'esprit qui construit des barrières entre les gens ».
« Les années Harper ont été une période bizarre dans l'histoire canadienne parce que tout a bougé vers l'ouest et le Québec a cessé d'occuper le centre de la scène, analyse Matt Qvortrup. Traditionnellement, depuis au moins les années 1960, la politique canadienne tournait autour du Québec. »
Deux éléments favorisant la victoire de l'option sécessionniste
- Le référendum a lieu durant une récession économique (le Canada se relevait tranquillement de la récession du début des années 1990)
- Le gouvernement qui initie le référendum doit avoir été récemment porté au pouvoir (le gouvernement péquiste élu en 1994 était au pouvoir depuis moins de 14 mois)
Un mouvement en crise
L'idée d'un troisième référendum apparaît pourtant moins réaliste que jamais. L'option souverainiste est plombée par des résultats électoraux abyssaux. Le Bloc se relève de son pire pointage (19,3 % au Québec) et le Parti québécois traîne encore comme un boulet son 25 % d'appui au scrutin de 2014, son score le plus faible en 40 ans.
« Il ne faut pas se contenter d'une vision à court terme, nuance M. Qvortrup. La dernière fois que je suis venu au Canada, c'était en 2011. Je lisais le Globe and Mail, on y parlait de la mort du Parti libéral du Canada et de l'émergence d'une majorité conservatrice permanente. [Lundi] dans l'avion, je lisais complètement l'inverse. »
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Matt Qvortrup, auteur de Referendums and Ethnic Conflict (2014) Photo : Olivier Arbour-Masse |
Un leader charismatique recherché
Pour les souverainistes, il y a loin de la coupe aux lèvres. Il manque un ingrédient crucial pour que la pâte référendaire lève : un meneur charismatique.
« Il doit y avoir un visage emblématique, quelqu'un capable d'articuler les enjeux de son époque. En tout respect pour les meneurs actuels du mouvement souverainiste, ils ne l'ont pas », tranche l'expert.
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Le chef du Bloc québécois, Lucien Bouchard, parle à des partisans, à Saint-Jérôme, le 13 octobre 1995. Photo : PC/Ryan Remiorz |
L'intérêt « obsessif » qu'il porte aux référendums, Matt Qvortrup le doit au charisme des protagonistes du référendum de 1980. L'Ontarien d'origine avait 12 ans à l'occasion de ce moment charnière dans l'histoire du pays. Il a été marqué à vie par René Lévesque et Pierre Elliott Trudeau.
« En 1980, ça a pris un génie politique en René Lévesque. En 1995, avec [Jacques] Parizeau, si [Lucien] Bouchard ne s'était pas amené, ça aurait été une proposition bien différente. En Écosse, Alex Salmond - et c'est aussi le cas de Nicola Sturgeon [sa remplaçante au poste de premier ministre] - est de loin le politicien le plus charismatique de la région, et même de Grande-Bretagne. »
Les leçons écossaises
Si les indépendantistes écossais ont pu apprendre des cas québécois pour mener leur vote en 2014, le Québec a désormais un exemple semblable au sien duquel s'inspirer.
On a fait l'éloge de la question posée aux Écossais : Should Scotland be an independant country(L'Écosse devrait-elle être un pays indépendant)? Elle contrastait avec les deux longues questions québécoises de par son caractère succinct.
Même si c'est à lui que les Écossais doivent cette formule directe, Matt Qvortrup accorde peu d'importance au libellé. « Dans un référendum sur des enjeux nationalistes, les gens débattent du sujet depuis des années. Ils savent de quoi il est question. »
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Un partisan du Oui brandit un drapeau pendant un rassemblement à Glasgow. Photo : Reuters/Paul Hackett |
Advenant un éventuel référendum, Matt Qvortrup invite le Québec à réglementer la couverture médiatique, comme c'est le cas en campagne électorale.
« Objectivement, on peut dire que la BBC [British Broadcasting Corporation, le diffuseur public] a donné plus de temps d'antenne au camp unioniste. Il y a eu une manifestation devant les bureaux de la BBC à Glasgow. Il y a eu beaucoup de ressentiment à ce propos. »
La longueur de la campagne écossaise peut faire école. « Après près de quatre mois de débats, des gens ordinaires, dans toutes les villes, commençaient à s'intéresser à des questions d'union monétaire! »
Le référendum a augmenté le « niveau de connaissance » politique et la participation électorale à travers l'Écosse, se réjouit Matt Qvortrup.
La loi sur la clarté dans le tordeur
Un obstacle se dresse dans le chemin d'un troisième référendum québécois : la Loi sur la clarté, œuvre de Stéphane Dion.
Cette loi stipule que les indépendantistes doivent obtenir une majorité claire à une question claire pour que le Canada accepte de négocier la sécession. Or, cette majorité n'est pas chiffrée, ce qui pousse Matt Qvortrup à renommer cette législation la « loi sur l'ambiguïté » (Unclarity Act).
« C'est un instrument hautement politisé qui est légalement impossible à défendre. Aucune cour ne pourrait se prononcer sur ça. C'est un texte de loi pauvre. »— Matt Qvortrup
M. Qvortrup invite les politiciens canadiens à reconnaître les résultats d'un éventuel référendum québécois sur le principe de la majorité simple (50 % +1).
« L'Érythrée, le Soudan du Sud, l'Écosse et le Monténégro ont de bonnes pratiques pour tenir un référendum. Le Canada, supposément le pays le plus développé au monde, devrait être capable de tenir un référendum pour savoir si une partie de la famille a grandi et veut quitter la maison. »
Le professeur Qvortrup s'inscrit en faux avec Stéphane Dion sur un autre point. Il n'y aurait, selon lui, aucune évidence statistique que la sécession est plus difficile dans les démocraties bien établies, comme le plaidait le député libéral dans une étude parue en 1996.