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MATHIEU BOCK-CÔTÉ
MISE à JOUR
MATHIEU BOCK-CÔTÉ
MISE à JOUR
C’est une des vraies tares de la culture américaine: la passion morbide pour les armes à feu. Je ne parle pas d’une passion de collectionneur ou de chasseur, mais de celle qui pousse les hommes et les femmes à s’acheter des armes automatiques, normalement vouées aux soldats et autres spécialistes de la guerre. Pourquoi veulent-ils posséder pour eux le feu meurtrier? Très régulièrement, on apprend qu’un maniaque qui avait chez lui tout un arsenal, ou qui a pu mettre la main légalement sur un fusil d’assaut ou une mitraillette, a massacré des gens dans un cinéma ou dans une université.
On nous dira que ce ne sont pas les armes qui tuent mais les hommes, et surtout les fous. On l’a encore entendu récemment. Certes. Mais ce n’est quand même qu’une esquive rhétorique. Pour l’essentiel, ils tuent avec des armes. Et si certaines figures éclairées de la politique américaine cherchent, étape par étape, à limiter la diffusion des armes à feu, à exercer sur elles un plus grand contrôle, on constate que le lobby pro-armes dispose, sans mauvais jeu de mots, d’une puissance de feu médiatique considérable qui peut aisément intimider ceux qui se dressent contre lui. Ce lobby n’aurait pas autant d’efficacité s’il ne disposait d’un vrai enracinement populaire.
On peut naturellement blâmer l’industrie des armes, et on le fera. Mais comment ne pas constater que la passion des armes est profondément inscrite dans les plis les plus intimes de la culture américaine? Voilà un pays qui n’accepte tout simplement pas que l’État dispose du monopole de la violence légitime. Pour les uns, il s’agit d’un simple moyen d’autodéfense au cas où leur vie serait en danger. Pour d’autres, traversés par l’imaginaire milicien, il s’agit de conserver les moyens de la liberté politique contre un gouvernement qui pourrait devenir tyrannique. Pour le dire d’un euphémisme, c’est déjà beaucoup plus louche.
Mais pour d'autres, les armes représentent souvent une forme de compensation sociale. Ils retrouvent là la puissance qui leur manque dans leur vie. Les armes leur donne le sentiment d’une toute puissance. Qu’ils en soient conscients ou non, ils n’aiment pas seulement de beaux objets: ils savent le pouvoir dont ils disposent avec leurs carabines, leurs mitraillettes, leurs pistolets. Consciemment ou inconsciemment, ils jouissent de pouvoir tuer. Quand cette puissance passe entre les mains d’un homme habité par la folie psychopathe, le carnage peut surgir à n’importe quel moment.
On le sait, il y a aux États-Unis une fascination érotique pour les armes à feu. Dans les salons qui en assurent la promotion, on les voit souvent associées à des femmes en petite tenue, comme si la possession d’une arme de gros calibre, à la manière d’un substitut phallique, pouvait donner à un homme les moyens de séduire celle qu’il désire. Une chose est certaine: l’incapacité américaine à contrôler les armes témoigne d’une impuissance politique et culturelle à réguler ce qu’on assimilera, dans un vocabulaire passé de mode, à la pulsion de mort. On pourrait même dire qu’il s’agit d’une faille de civilisation.
Il n’en demeure pas moins qu’on n’explique toujours pas par-là la multiplication des tueries. Qu’est-ce qui fait qu’un jour, un homme décide de prendre ses armes, d’aller à l’école ou l’université du coin, et d’arroser de balles ses concitoyens? On dira qu’il s’agit d’un malade. Peut-être. Mais derrière la maladie, il faut peut-être aussi chercher à voir le mal pur, le désir de destruction. L’homme qui massacre se suicide souvent ensuite, comme s’il voulait, à la manière d’un petit dieu, dominer le monde dans un désir de toute puissance et s’abolir ensuite avec lui. C’est un peu comme si une digue civilisatrice manquait dans la culture américaine. On ne voit pas qui parviendra à la construire.