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lundi, juillet 06, 2015

Julie Snyder face à l’incohérence des lois

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6 juillet 2015 | Robert Leckey - Directeur du Centre Paul-André Crépeau de droit privé et comparé | Actualités culturelles
Compte tenu de l’appui indéfectible que Mme Snyder apporte à M. Péladeau dans sa vie politique, il serait difficile de la qualifier comme un étranger à son égard.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir

Compte tenu de l’appui indéfectible que Mme Snyder apporte à M. Péladeau dans sa vie politique, il serait difficile de la qualifier comme un étranger à son égard.
C’est désormais bien connu : le fisc québécois oblige Julie Snyder à abandonner son « bébé », Productions J. Des règles, en vigueur jusqu’en 2014 et à présent rétablies, nient à sa compagnie la qualité d’indépendance. Le motif est que son conjoint de fait, Pierre Karl Péladeau, est l’actionnaire principal de Québecor. Quelle que soit la force de ses plaintes, cette affaire nous invite à examiner les injustices qui découlent du traitement asymétrique que le droit québécois réserve aux conjoints de fait.
 
En général, le droit privé du Code civil ne reconnaît pas les conjoints de fait. Le droit familial les considère comme des étrangers. Ils ne se doivent pas des aliments. Leur logement n’est pas protégé comme une résidence familiale. La rupture ne précipite aucun partage de biens. Sur tous ces plans, le traitement des conjoints de fait se démarque de celui des époux.
 
Toutefois, comme Mme Snyder nous le rappelle, les lois sociales et fiscales assimilent les conjoints de fait aux époux. Par exemple, dans un contexte commercial, les conjoints de fait ne sont pas considérés comme étant sans lien de dépendance.
 
Je ne suis pas troublé par la reconnaissance de la proximité qui, souvent, se développe lorsqu’un couple partage un toit, voire une vie. D’ailleurs, compte tenu de l’appui indéfectible que Mme Snyder apporte à M. Péladeau dans sa nouvelle vie politique, il serait difficile de la qualifier comme un étranger à son égard. Elle ne se comporte pas comme n’importe quel militant du Parti québécois.
 
Le problème est l’incohérence qui résulte du traitement différent selon les lois fiscales et sociales et selon le droit familial. Le cas de Mme Snyder est exceptionnel car, normalement, ce sont les personnes bien moins nanties qui en essuient les conséquences négatives. Ces personnes vulnérables ne font pas des manchettes.
 
De quelles conséquences négatives s’agit-il ? Les lois sociales imposent aux conjoints de fait certaines obligations sans que le Code civil ne leur reconnaisse les droits qui, chez les époux, en sont la contrepartie. Une loi sociale peut retirer un bénéfice sur la base qu’une personne en recevra l’équivalent de son conjoint de fait, tandis que le droit privé n’impose pas un tel partage de ressources. D’ailleurs, lorsque l’administration se trompe en versant un bénéfice excessif à quelqu’un, le conjoint de fait est tenu solidairement responsable du remboursement.
 
Dans son rapport impressionnant sur la réforme du droit de la famille, le comité présidé par le professeur Alain Roy dit qu’il serait malavisé d’imposer une solidarité aux conjoints de fait. Or, le droit fiscal et social en assume une déjà. Le comité a reconnu que cette question outrepassait son mandat.
 
Des solutions
 
Quelques solutions sont envisageables. Une option serait de modifier les lois sociales et fiscales afin de traiter les conjoints de fait comme de simples individus. Une autre serait de rendre la reconnaissance conjugale facultative. Ainsi, les conjoints qui sont vraiment indépendants et qui ne s’entraident pas pourraient déclarer ce fait. Ces deux options seraient cohérentes avec l’autonomie des adultes, apparemment un principe directeur en droit familial québécois.
 
La troisième option, celle rejetée par le comité, serait d’assujettir les conjoints de fait au droit matrimonial. Le comité s’est contenté de recommander l’attachement de droits et d’obligations aux conjoints de fait qui ont un enfant.
 
Le remarquable rapport du comité convoque les Québécois et Québécoises à débattre de l’avenir du droit familial. Par ailleurs, l’arrimage des définitions familiales en droit privé et en droit public n’outrepasse pas le mandat de la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée. Espérons que le cas de Mme Snyder lui rappellera cette question sociale importante.