On n’apprend pas à un vieux singe à faire la grimace, et Robert Lafrenière en est un. Jeudi, il en était à sa douzième comparution devant une commission parlementaire, dont neuf en six ans à titre de grand patron de l’UPAC. De son propre aveu, il est devenu une sorte d’expert en la matière. Il sait parfaitement ce qu’il faut dire et ne pas dire. Ce n’était ni le moment ni le lieu des grandes révélations, mais l’habileté de son témoignage avait de quoi impressionner.
Aussi longtemps que le choix du commissaire de l’UPAC et du directeur de la SQ sera à la discrétion du gouvernement, sans l’approbation des deux tiers de l’Assemblée nationale, il s’en trouvera toujours pour douter de leur indépendance. Une méfiance que l’habitude des allers-retours entre la police et le ministère de la Sécurité publique n’est pas de nature à atténuer.
M. Lafrenière n’en avait pas moins des airs d’Eliot Ness durant son interrogatoire. À l’entendre, rien, ni personne, ne pourrait l’empêcher de passer les menottes à tous ces mécréants. «Il n’y a jamais eu de tentative de m’influencer en six ans. Celui qui essaierait, ce serait catastrophique pour lui, tout se sait.» À bon entendeur, salut !
Même les députés de l’opposition, qui l’attendaient de pied ferme, ont paru rassurés par sa volonté de mener à terme l’enquête Mâchurer, qui vise Jean Charest et son collecteur de fonds, Marc Bibeau, et de transmettre le dossier à la Direction des poursuites criminelles et pénales (DPCP), peu importe les conséquences politiques. Autrement dit, s’il n’y a pas d’accusations, ce n’est pas lui qu’il faudra blâmer.
Les explications qu’il a données pour justifier la lenteur de l’enquête étaient très convaincantes. Tout le monde comprendra que des gens menacés d’être traduits devant les tribunaux vont utiliser tous les moyens légaux possibles pour faire traîner les choses. Bref, un remarquable plaidoyer.
Le déplaisir que lui ont causé les fuites dont les médias de Québecor ont bénéficié était tout aussi manifeste, comme sa détermination à mettre la main au collet du «bandit» qui en est à l’origine. À aucun moment il n’a cependant mis en doute l’authenticité des courriels et autres documents qui ont été publiés.
Contrairement à Pierre Moreau, M. Lafrenière s’est bien gardé d’adresser le moindre blâme aux médias. Il ne voudra jamais admettre que ces fuites ont pu avoir un effet positif, mais il peut maintenant avoir l’assurance que personne au gouvernement n’osera lui suggérer de modérer ses ardeurs.
On peut facilement comprendre la frustration des libéraux, qui assistent impuissants à l’étalage de leur turpitude, mais le procès d’intention que le président du Conseil du trésor a intenté à Pierre Karl Péladeau ne peut qu’être contre-productif. Soit, M. Péladeau aurait pu avoir la satisfaction plus discrète, mais tout le monde se souvient que, n’eussent été les enquêtes journalistiques, le gouvernement Charest n’aurait jamais accepté de créer la commission Charbonneau. M. Moreau a peut-être marqué des points au sein de son caucus, mais donner l’impression de vouloir intimider la presse était la dernière chose à faire.
La bonne nouvelle pour les libéraux est que les allégations du président de la Fraternité des policiers de Montréal, Yves Francoeur, semblent se dégonfler. Le commissaire de l’UPAC et le directeur de la SQ, Martin Prudhomme, ont été aussi catégoriques que la DPCP l’avait été la semaine dernière : ils n’ont pas trouvé la moindre trace de ces écoutes électroniques dont deux élus libéraux soupçonnés d’avoir favorisé un promoteur immobilier lié à la mafia auraient fait l’objet.
D’éventuelles poursuites contre Jean Charest causeraient évidemment un tort considérable à l’image du PLQ, mais M. Couillard pourrait encore plaider que cela appartient au passé, si détestable qu’il ait pu être. Les choses se compliqueraient si un député qui siège actuellement à l’Assemblée nationale, voire au Conseil des ministres, était épinglé. Les manigances de Sam Hamad et de Marc-Yvan Côté pour favoriser Premier Tech remontaient aussi à l’ère Charest, mais M. Couillard a quand même jugé nécessaire de sacrifier M. Hamad sur l’autel de l’intégrité.
Le premier ministre disait récemment qu’il croyait avoir fait des adieux définitifs à la politique quand il a quitté le cabinet Charest en 2008. À l’époque, il n’était pas disposé à vivre le long purgatoire qui aurait normalement dû suivre la défaite de 2012, comme cela avait été le cas après celles de 1976 et de 1994. Il a repris du service quand il s’est rendu compte que la marque libérale avait été moins amochée qu’il l’avait craint au départ. Il y avait néanmoins un prix à payer pour ce raccourci vers le pouvoir, celui de devoir assumer le poids d’un passé trop récent. Un prix qui ressemble quand même à une aubaine.
(QUÉBEC) Le commissaire de l'UPAC, Robert Lafrenière, a remis aux élus la quasi-totalité des documents qu'une ex-vérificatrice du ministère des Transports avait transmis au corps policier, vendredi.
Embauchée par l'ancien ministre Robert Poëti, Annie Trudel avait colligé des centaines de documents sur une clé USB, qui a été envoyée à l'UPAC. Celle-ci refusait de rendre les documents publics de crainte de nuire à ses enquêtes.
Lors d'un témoignage à huis clos devant la commission de l'administration publique, vendredi, M. Lafrenière a finalement accepté de partager presque tous les documents avec les élus. Ils seront rendus publics prochainement.
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Nombre de documents se trouvant sur la clé USB qui seront transmis aux élus.
« Il y a une petite portion - pour protéger nos enquêtes, pour protéger nos sources - que nous avons dû caviarder », a expliqué M. Lafrenière.
Le commissaire a également confirmé aux élus que l'UPAC mène une dizaine d'enquêtes sur le MTQ, comme La Pressele révélait il y a deux semaines.
Les découvertes de Mme Trudel ont été révélées par une lettre écrite par M. Poëti à l'actuel ministre Jacques Daoust. M. Poëti a dit craindre que le MTQ ait accordé des contrats de gré à gré, que ses vérificateurs internes aient été victimes d'intimidation, et qu'un système de comptabilité complexe camouflé des dépassements de coûts.
Lors d'un passage en commission parlementaire, l'ancienne sous-minsitre Dominique Savoie a minimisé les anomalies découvertes par Mme Trudel. À ses yeux, il s'agissait de cas « d'insatisfaction administrative » et non d'actes criminels.
Mme Savoie a été démise de ses fonctions le lendemain matin, tout comme le chef de cabinet de M. Daoust, Pierre Ouellet.
Selon la députée du Parti québécois, Martine Ouellet, il est clair que la sous-ministre n'a pas pris au sérieux les mises en garde de Mme Trudel.
« Très clairement, elle avait sous-estimé le contenu de la clé USB », a dit Mme Ouellet.
Les travaux de la commission de l'administration publique sur le MTQ se poursuivront la semaine prochaine. L'ancienne vérificatrice Annie Trudel et l'ex-vérificatrice interne Louise Boily témoigneront tour à tour.
Le député de la Coalition avenir Québec, Éric Caire, croit que ces témoignages permettront d'en savoir davantage sur les pratiques du MTQ.
« On a les documents, on a les acteurs concernés, a dit M. Caire. Moi je pense qu'on va faire un bon bout de chemin. J'ai bon espoir qu'on va aller au bout des choses et qu'on va avoir le fin mot de l'histoire. »
Publié le 18 mars 2016 à 06h00| Mis à jour à 06h00
PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE
Nommé premier commissaire de l'Unité permanente anticorruption en mars 2011, l'ancien sous-ministre de la Sécurité publique Robert Lafrenière achève son mandat et a publiquement sollicité un renouvellement.
ANALYSE - Quel avenir pour Robert Lafrenière ? Nommé premier commissaire de l'Unité permanente anticorruption en mars 2011, l'ancien sous-ministre de la Sécurité publique achève son mandat et a publiquement sollicité un renouvellement. Il est clair que l'UPAC a encore des enquêtes percutantes dans ses classeurs, susceptibles d'avoir des échos dans le monde politique.
Le changement d'attitude au DPCP s'explique par un vaste rebrassage des cartes au bureau du Directeur des poursuites. Me Josée Grandchamp (photo) a remplacé Me Briand à la Grande Criminalité, à la fin de l'année, et n'a pas craint d'affronter la « chaleur ».
PHOTO ANDRÉ TREMBLAY, LA PRESSE
Pas moins de cinq autres candidats lui disputent le poste - les entrevues auront lieu durant la dernière semaine de mars.
Avec le coup de théâtre de jeudi, on peut penser que le patron de l'UPAC a assuré son avenir. Que penserait la population si le gouvernement libéral limogeait l'Eliot Ness qui vient d'épingler d'anciens ministres libéraux ? Le patron de l'UPAC n'a pas grand pouvoir quant au moment où la Couronne fait tomber les accusations - personne n'aura visé le jour du dépôt du budget pour embêter le gouvernement. En revanche, on peut penser que le commissaire de l'UPAC espérait que cette opération survienne avant que le gouvernement n'ait à décider de son avenir.
Mais cela ne passera pas comme une lettre à la poste. Philippe Couillard a toujours de travers dans la gorge l'interrogatoire que deux enquêteurs de Marteau prêtés à l'UPAC lui ont fait subir, à son condominium de Québec, quand il était chef de l'opposition.
On peut se demander si les policiers ont manqué de jugement en débarquant ainsi sans s'annoncer, mais, chose certaine, la garde rapprochée du premier ministre conserve encore un goût amer de cette opération.
Parmi les candidats à la succession à l'UPAC, on retrouve des policiers : Marcel Forget, actuellement bras droit de M. Lafrenière, Didier Deramond, directeur adjoint au SPVM, Denis Morin, un des fondateurs de l'escouade Marteau, actuellement en mission pour la SQ en Haïti. Des avocats sont aussi intéressés : la procureure en chef de la commission Charbonneau, Me Sonia Lebel, n'a pas caché son intention et, semble-t-il, Me Denis Gallant, procureur en chef adjoint de la Commission avant sa nomination comme inspecteur général de la Ville de Montréal.
Dans les milieux policiers, plusieurs pensent que l'UPAC devra réorienter son travail dans l'avenir. Après cinq ans, l'escouade de 325 personnes a fait le tour des grands dossiers de corruption. On n'est plus dans les stratagèmes, mais dans le menu fretin. On a récemment déposé des accusations visant un fonctionnaire de l'immigration qui demandait, semble-t-il, de l'argent aux candidats pour obtenir leur certificat de sélection du Québec, un dossier qu'aurait facilement pu traiter la SQ.
Mais à l'origine, la création de cette police spéciale calquée sur un corps similaire à New York était justifiée. Qu'on se souvienne de l'attitude plutôt complaisante de la juge France Charbonneau lors du témoignage de Nathalie Normandeau. Cinq ans plus tard, il faut reconnaître que Jean Charest avait raison : les enquêtes de l'UPAC étaient préférables, plus efficaces que le spectacle quotidien de la Commission pour traduire les contrevenants en justice. On n'en est qu'à des accusations, personne n'est coupable, mais on est bien loin du rapport de la CEIC. Mais après cinq ans, on constate que le Québec n'est pas New York, l'UPAC manque de grain à moudre.
Épreuve de force en coulisses
Dans l'opération de jeudi, personne n'a passé les menottes. Aucun des prévenus ne présente sérieusement des risques de sécurité. Mais sous ces apparences fort civiles, on assistait à la conclusion d'une formidable épreuve de force dans les officines de la Justice.
Ces accusations découlent des enquêtes Joug et Lierre, qui sont terminées depuis longtemps. Tout était sur le bureau de la procureure en chef du bureau du Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), Isabelle Briand. Me Briand aura toujours été, confie-t-on, particulièrement sensible à l'impact d'une poursuite visant un politicien, quelle que soit sa couleur partisane.
Il y a de ces procureurs « qui n'aiment pas la chaleur » et reportent constamment ces arbitrages difficiles jusqu'à ce qu'ils tombent dans l'oubli.
Pendant toute l'année 2015, ces dossiers sensibles sont restés sur le bureau de Me Briand. On ne procédait même plus à des demandes de complément d'enquête, l'enquête était à sa face même complétée. En octobre dernier, des enquêteurs de l'UPAC ont confié sans réserve leur impatience à La Presse. Deux dossiers avec des ramifications politiques étaient sans raison sur une voie de garage. Ils en sont sortis jeudi.
Le changement d'attitude au DPCP s'explique par un vaste rebrassage des cartes au bureau du Directeur des poursuites. Annick Murphy, nommée patronne au début de 2015, a procédé à un profond remaniement des responsabilités l'automne dernier. Me Josée Grandchamp a remplacé Me Briand à la Grande Criminalité, à la fin de l'année, et n'a pas craint d'affronter la « chaleur ».
Il est vrai qu'elle a reçu la visite, il y a quelques semaines, des enquêteurs de l'UPAC qui lui ont demandé ce qui manquait au dossier, à son avis, pour porter des accusations. Devant la détermination des enquêteurs et le niveau d'avancement du dossier, les accusations devenaient incontournables.
Publié par La Presse Canadienne le lundi 02 novembre 2015 à 17h21.
QUÉBEC — Robert Lafrenière souhaite que son mandat à la tête de l'Unité permanente anticorruption (UPAC) soit renouvelé en 2016 et que l'organisme qu'il dirige devienne un service policier totalement autonome.
«Une de mes ambitions, c'est de devenir un corps policier, en soi: l'UPAC. Alors, je pense qu'il n'y a rien de mieux pour être le plus indépendant possible», à la fois du gouvernement, de la Sûreté du Québec (SQ) et du Service de police de la ville de Montréal (SPVM), a énuméré lundi le chef de la lutte contre la corruption, en commission parlementaire.
Contrairement à l'opposition péquiste, M. Lafrenière n'est pas d'avis, par ailleurs, que son poste devrait à l'avenir être attribué par l'Assemblée nationale, comme c'est le cas par exemple pour le Vérificateur général et le Directeur général des élections, nommés obligatoirement grâce à l'appui d'au moins les deux tiers des députés.
Nommé par le gouvernement Charest en 2011, pour un mandat de cinq ans qui vient à échéance en mars, M. Lafrenière est d'avis au contraire que le gouvernement est le mieux placé pour choisir la personne la plus apte à diriger l'UPAC.
Une nomination faite par l'Assemblée nationale, «je ne suis pas favorable à ça», a-t-il tranché, en point de presse, en marge de son témoignage devant les élus.
Car sa nomination par le gouvernement ne pose pas de problème de proximité, selon lui. «Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) est nommé par le gouvernement. S'il y a un rôle qui doit être complètement indépendant, c'est bien celui-là. Le directeur général de la Sûreté du Québec est nommé par le gouvernement. La nouvelle directrice du Bureau d'enquêtes indépendantes (BEI) est nommée par le gouvernement», a-t-il énuméré pour justifier sa propre situation.
Le commissaire de l'UPAC a souligné qu'il voulait un deuxième mandat pour poursuivre son travail entrepris en 2011.
Dans ce but, il voudrait que l'UPAC ait les coudées franches et puisse constituer un corps policier totalement autonome et indépendant de tout autre service policier. Cette UPAC renforcée aurait, selon ses voeux, la responsabilité exclusive des enquêtes qu'elle mène. Elle pourrait ainsi avoir un accès direct aux banques de renseignements, tandis que les échanges avec les corps policiers nationaux et internationaux s'en trouveraient facilités, a-t-il fait valoir aux députés.
Il y a déjà un an que M. Lafrenière plaide sa cause auprès du gouvernement pour étendre l'autonomie administrative et opérationnelle de son unité. Des changements législatifs seraient nécessaires pour atteindre ce but. La ministre de la Sécurité publique, Lise Thériault, présentement en congé de maladie, n'a pas encore donné suite à cette requête.
La présence du commissaire en commission parlementaire visait à examiner dans quelle mesure l'UPAC s'était bien acquittée de son mandat et à demander des comptes au commissaire quant aux résultats enregistrés par l'unité depuis 2011, surtout en termes d'arrestations.
L'UPAC dirige et coordonne toute activité de lutte à la corruption, la collusion, la fraude et l'évasion fiscale.
Le député péquiste Pascal Bérubé s'est interrogé quant à l'indépendance de M. Lafrenière relativement au gouvernement et s'est inquiété de la baisse du nombre d'arrestations effectuées par l'UPAC au fil des ans.
M. Lafrenière, qui dirige une centaine d'enquêteurs, a répliqué qu'il ne fallait pas juger de la pertinence de l'UPAC en fonction du nombre de personnes arrêtées. «Cette année, on a 23 arrestations en 2015. Je calcule que c'est un bilan qui est respectable», a-t-il dit.
Il a renouvelé sa pleine confiance au DPCP pour décider à quel moment des accusations devaient être portées à la suite des enquêtes menées par l'UPAC. Les procureurs du DPCP «sont des gens compétents», a-t-il ajouté, se disant persuadé que les dossiers en cours devant faire l'objet d'accusations «vont aboutir» en temps et lieu.