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jeudi, janvier 12, 2017

Cette Europe qui se raidit

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Le résultat du référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne affaiblit le partenariat économique et social des 27 pays qui restent, et favorise les idées populistes, nationalistes et isolationnistes qui foisonnent dans une grande partie de ces pays.
C’était précisément pour séduire l’électorat britannique de droite et d’extrême droite lors des élections générales de 2015 que le premier ministre David Cameron avait promis de tenir ce référendum. Cela lui a permis de survivre politiquement pendant un an. Pas plus. Après avoir laissé poindre un agacement contre le pouvoir centralisateur de Bruxelles pour gagner l’élection, il a fait campagne pour le maintien dans l’Union.
L’électorat n’a pas apprécié : la manoeuvre s’est retournée contre lui. Les racines du ressentiment populaire envers l’Europe, les élites et surtout l’immigration étaient plus profondes que ne l'avaient imaginé David Cameron et la plupart des dirigeants politiques du continent.

Au lendemain du référendum, je me suis rendu dans la banlieue londonienne de Romford, une des régions acquises au parti europhobe UKIP, qui a voté à 70 % pour le Brexit. Au marché extérieur local, les gens étaient ravis et surpris. Ils s’attendaient, disaient-ils, à ce que le camp du maintien dans l’Union, dirigé par le gouvernement et tout le gratin économique, trouve un moyen de fausser les résultats.
Romford est typique d’une certaine Angleterre. Celle qui a connu un important déclin économique avec la fermeture de nombreuses usines au cours des dernières décennies. Les personnes interrogées avouaient volontiers que leur vote contre l’Union européenne était aussi un vote de protestation et de frustration contre le gouvernement et les élites.
Au marché de Romford, comme au Pays de Galles ou le long des côtes sud et est du pays, une grande partie de la population s'accorde pour dire que le pays est envahi par l’immigration. Et que le Royaume-Uni, mais surtout l’Angleterre, ne peut offrir des services de santé décents à leur population puisque de trop nombreux migrants profitent du système. J’ai même entendu des habitants de Romford attribuer les problèmes d’embouteillages sur les routes du royaume aux immigrants!
L'Allemagne d'Angela Merkel
Angela Merkel
La chancelière allemande Angela Merkel au début décembre Photo : La Presse canadienne/AP Photo/Markus Schreiber
Quelques mois plus tard, en septembre, la chancelière allemande Angela Merkel est sanctionnée par ses électeurs. Lors d’une élection régionale, son parti politique subit une cuisante défaite dans son fief électoral, le Land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale, sur les bords de la mer Baltique. On lui reproche sa décision d’ouvrir les portes du pays aux réfugiés syriens. Un million de migrants ont franchi la frontière allemande en 2015, 200 000 de plus en 2016.
C’est le parti d’extrême droite AFD qui remporte la mise. Ce parti dirigé par une scientifique et chef d’entreprise, Frauke Petry, surfe sur la crise des migrants. Créée en 2013, cette formation politique ne recueillait à l’origine que 3 % des intentions dans les sondages. Depuis l’an dernier, ses appuis sont estimés à 15 % à travers le pays.
Ces dernières années, lors de divers scrutins régionaux, l’AFD a ravi des électeurs à toutes les autres formations politiques, de gauche à droite. Mais ce parti d'extrême droite a surtout attiré une forte proportion d’abstentionnistes. C’est sa force : rallier les personnes qui se disent désabusées de la politique.
Comme au Royaume-Uni, c’est la frustration des chômeurs et des petits salariés qui s’exprime en Allemagne.
Frauke Petry
Frauke Petry, scientifique et chef d’entreprise, dirige le parti allemand AFD Photo : La Presse canadienne/AP Photo/Markus Schreiber
« Les Allemands ont des problèmes avec leur identité », m’a dit Frauke Petry lors d’une interview, au lendemain de ces élections régionales. « Il faut oser dire les choses clairement : la majorité de ces immigrants ne sont pas des réfugiés venus de Syrie. Si c’était le cas, on verrait une majorité de femmes et d’enfants arriver. Or, ce sont tous des jeunes hommes. Ce sont des illégaux. Tous ces gens sont ici parce que Merkel leur a dit : " Venez, nos portes sont ouvertes!" »
Le parti AFD est maintenant présent dans 9 des 16 administrations régionales allemandes.
Le cas de l'Autriche
Pancarte gribouillée de Norbert Hofer
Une pancarte gribouillée de Norbert Hofer, candidat du FPÖ à l’élection présidentielle autrichienne. Photo : Radio-Canada/Sylvain Desjardins
En Autriche, le FPÖ, le Parti de la liberté, fondé par d’anciens nazis au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, a aussi le vent dans les voiles. Il vient de perdre la mise aux élections présidentielles du début de décembre, mais il se prépare pour les prochaines élections législatives qui désignent le siège du véritable pouvoir, celui du chancelier et du gouvernement.
L’électorat autrichien est divisé en deux camps égaux : la gauche et l’extrême droite. Pour les dirigeants du FPÖ, le résultat de 47 % de leur candidat présidentiel, Norbert Hofer, est très encourageant puisque tous les autres partis avaient fait l’union contre lui.
Dans tous les cas évoqués précédemment, on retrouve, au centre des préoccupations de la population, un sentiment xénophobe anti-immigration croissant et un rejet des élites nationales et européennes.
Avec la tenue d’au moins trois élections générales et la négociation du Brexit au Conseil européen, 2017 sera une année décisive pour l’avenir de l’Union européenne.
 
Et ailleurs en Europe
Il y aura d’abord, en mars, des élections générales aux Pays-Bas. Un autre parti d’extrême droite, le PVV, le Parti de la liberté (même nom que le FPÖ autrichien), est devenu la formation politique la plus populaire au pays. Ce parti, dirigé par le très populiste Geert Wilders, se pose comme un farouche opposant à l’immigration. Son chef a d’ailleurs été condamné par un tribunal au début de décembre pour discrimination à l’égard de la minorité marocaine néerlandaise.
Il y aura ensuite en France des élections présidentielles en mai, suivies des législatives en juin. Que ce soit dans les sondages des dernières années, ou lors des élections municipales, régionales, départementales depuis 2014, c’est toujours le Front national de Marine Le Pen qui obtient les meilleurs résultats, du moins au premier tour de scrutin. Ses appuis varient entre 30 % et 40 %.
Marine Le Pen, Front national
Marine Le Pen, Front national Photo : Reuters/Charles Platiau
Aucun autre parti traditionnel français n’arrive à obtenir ce genre d’appui actuellement en France. Encore une fois, c’est le sentiment anti-immigrants et anti-élite sociale qui agit comme leitmotiv. La France reste fortement marquée par les attentats terroristes de 2015 et 2016. Le Front national propose la tenue d'un référendum sur ce que Marine Le Pen appelle un « Frexit », sur le modèle britannique, et un resserrement des contrôles aux frontières de la France.
Suivront, en septembre 2017, les élections législatives en Allemagne. La chancelière Angela Merkel tentera de ravir un quatrième mandat, dans le contexte de la difficile gestion de la crise migratoire que l’on connaît.
Reste à voir par ailleurs si les fragiles gouvernements de coalition en Autriche, mais aussi en Italie, où progresse le parti populiste 5 étoiles, tiendront le coup pendant toute l’année.
Fait à signaler : la plupart des partis populistes européens utilisent leurs propres journaux, leurs sites web et les médias sociaux pour rejoindre directement leur électorat potentiel, ce qui leur permet de contourner ou même de contrecarrer les critiques exprimées dans les médias officiels.
La solidité de l’Union européenne est menacée de toutes parts. À Bruxelles, siège de la Commission européenne, la plus grande crainte avouée, c’est que la vague populiste engendrée par le Brexit d’abord, et par l’élection de Donald Trump aux États-Unis ensuite, ne se transforme avec le temps en un véritable tsunami.

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