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Jean-François Lisée, qui a toujours eu un sens aigu du marketing, ne pouvait tout de même pas laisser passer le vingtième anniversaire du référendum d’octobre 1995 sans publier un autre livre, qui sera en libraire la semaine prochaine. Certains lui ont reproché de raviver la polémique créée par la malheureuse phrase de Jacques Parizeau à propos de l’argent et des votes ethniques, mais comment parler du référendum sans évoquer cette conclusion dramatique ?
Il est vrai que M. Parizeau ne pouvait pas être surpris de l’appui que les communautés ethniques ont donné au Non. Les propos qu’il avait tenus lors d’un Conseil national du PQ tenu à Québec en janvier 1993 étaient sans équivoque : « On peut avoir une majorité dans le sens de la cause nationale que l’on veut faire avancer même si à peu près pas d’anglophones et d’allophones votent pour cela. Les Québécois peuvent atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés même si c’est presque exclusivement des Québécois de souche qui l’approuvent. C’est une forme de réalisme que de tirer ces conclusions. »
Dès lors, M. Lisée a raison de dire que s’il voulait blâmer quelqu’un pour la défaite du Oui, l’ancien premier ministre aurait dû s’en prendre aux Beaucerons, qui avaient en majorité voté non, ou encore aux électeurs de Québec, qui avaient appuyé le Oui dans une proportion moins élevée que dans les autres régions francophones. Pierre Karl Péladeau n’en a pas moins dit tout haut ce que pensent toujours de nombreux souverainistes, quand il a déclaré en mars dernier que l’immigration joue contre la souveraineté.
Quoi qu’il en soit, il est clair que la déclaration de M. Parizeau n’a rien fait pour améliorer les relations entre le mouvement souverainiste et les néo-Québécois, malgré tous les efforts pour s’en dissocier, pas plus que le projet de charte de la laïcité, avec laquelle M. Lisée avait également pris ses distances dans son précédent livre.
L’utilité des rappels historiques est de permettre d’éviter la répétition des erreurs du passé. Voilà pourtant que M. Lisée propose d’imposer aux nouveaux citoyens canadiens un délai de 12 mois avant de leur octroyer le droit de vote à une élection québécoise ou à un référendum. Du Mexique, le premier ministre Couillard s’est empressé de dénoncer une nouvelle tentative du PQ de créer deux classes de citoyens, l’une avec et l’autre sans droit de vote.
« L’emballement bureaucratique » d’Immigration Canada, qui a multiplié le nombre de nouveaux Canadiens, dont la reconnaissance s’est traduite par un appui massif au Non, était sans doute de la triche et il y a fort à parier qu’il y aura récidive dans l’éventualité d’un autre référendum.
Bien sûr, cela est déplorable, mais M. Lisée reconnaît lui-même que la « pluie » de nouveaux citoyens n’a pas été décisive. Il peut arriver que le remède soit pire que le mal. Même si le camp du Oui réussissait à empêcher quelques milliers de citoyens prématurés de voter Non, comment cette mesure serait-elle perçue par les centaines de milliers d’autres immigrants que les souverainistes ne peuvent renoncer à convertir à leur cause ? Plutôt que d’y voir un souci de préserver l’intégrité du processus démocratique, ils risquent de conclure que les nouveaux arrivants sont considérés comme des ennemis, ce que le camp fédéraliste ne cessera de marteler. En réalité, M. Lisée propose de répéter l’« énorme demi-bêtise » qu’il reproche à M. Parizeau.
Il prévoit avec raison qu’une disposition légale imposant un délai de 12 mois aux nouveaux citoyens avant de pouvoir voter serait contestée devant les tribunaux. « Cela permettrait de faire la démonstration de la nature partisane de la pratique fédérale », explique-t-il. Et si la Cour suprême invalidait malgré tout la loi québécoise, il suggère d’utiliser la disposition de dérogation.
Un tel scénario est envisageable, mais en quoi cela contribuerait-il à faire voir le projet souverainiste sous un jour plus favorable aux néo-Québécois ? On leur dira plutôt que si un gouvernement souverainiste ne respecte pas la Charte des droits du pays qui les a accueillis, cela augure mal pour ce qui se passerait dans un Québec indépendant.
Le projet de loi sur l’identité québécoise présenté par Pauline Marois en 2007, qui aurait interdit aux Canadiens qui venaient s’établir au Québec de se présenter aux élections sans avoir une connaissance « appropriée » du français, en avait rendu plusieurs mal à l’aise au PQ, précisément parce qu’il avait pour effet de créer deux classes de citoyens. Il ne fallait pas que les droits d’un Canadien venant s’installer au Québec régressent, avait expliqué Bernard Landry. De la même façon, tant que le Québec fera partie du Canada, il serait gênant qu’un nouveau citoyen n’y ait pas les mêmes droits qu’en Ontario.