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Mise à jour le lundi 14 septembre 2015 à 8 h 39 HAE
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Saadi Kadhafi, fils de Mouammar Kadhafi, en compagnie de Riadh Ben Aïssa, alors vice-président de la division construction de SNC-Lavalin (photo prise à Toronto le 14 septembre 2009) |
L'ex-vice-président de la division construction de SNC-Lavalin, Riadh Ben Aïssa, affirme que la firme a fait de lui un « bouc émissaire » et allègue que les hauts dirigeants de la compagnie ont sciemment approuvé des pots-de-vin et des cadeaux somptueux - dont l'achat d'un yacht et même les services de prostituées - afin d'obtenir des contrats auprès du régime libyen de Kadhafi.
Est-ce que SNC-Lavalin savait que des pots-de-vin étaient versés pour obtenir des contrats en Libye? Voilà la question au coeur de poursuites devant les tribunaux. SNC-Lavalin affirme que non, mais Riadh Ben Aïssa affirme que la plupart des hauts dirigeants de SNC savaient. Riadh Ben Aïssa implique nommément Pierre Duhaime, l'ancien PDG de SNC-Lavalin, Gilles Laramée, l'ex-chef des affaires financières, et Michael Novak, autrefois responsable de SNC-International.
Ces allégations très sérieuses se trouvent dans les documents - obtenus par CBC et Radio-Canada - de la défense de Riadh Ben Aïssa, dans le cadre d'une série de poursuites par l'entreprise SNC-Lavalin, qui elle-même fait face à des poursuites criminelles pour corruption à l'étranger.
« SNC essaie d'utiliser Riadh Ben Aïssa comme bouc émissaire en le présentant comme le seul responsable des gestes que SNC a approuvés et encouragés », peut-on lire dans les documents de la défense. « Après avoir agi malhonnêtement pendant des années, SNC-Lavalin essaie maintenant d'être exonérée en rejetant toute responsabilité sur Ben Aïssa. »
Riadh Ben Aïssa est de retour au Canada après avoir passé plus de deux ans dans une prison en Suisse, relativement à des accusations de corruption liée à ses activités à titre de vice-président chez SNC-Lavalin. M. Ben Aissa a plaidé coupable en 2014. Il avait été condamné à purger trois ans de prison, dont 18 mois avec sursis.
Des millions de dollars en pots-de-vin pour des contrats
SNC-Lavalin poursuit Riadh Ben Aïssa, le blâmant d'être responsable des nombreux scandales qui ont éclaboussé SNC-Lavalin, notamment pour avoir entretenu des liens très proches avec l'ex-dictateur Mouammar Kadhafi.
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Ainsi, la défense de Riadh Ben Aïssa offre, pour la première fois, un compte-rendu détaillé de ses gestes au sein de SNC-Lavalin et marque ainsi une contre-attaque majeure contre son ancien employeur. Aucune de ces allégations n'a été prouvée en cour.
Dans cette poursuite, SNC-Lavalin réclame un remboursement de près de 2 millions de dollars auprès de Stéphane Roy, l'ancien vice-président des Finances et de la consultante Cindy Vanier, alléguant que les deux ont tenté de frauder la compagnie et qu'ils ont comploté pour assurer la fuite du fils de Mouammar Kadhafi, Saadi Kadhafi, vers le Mexique, allant à l'encontre d'une interdiction de l'ONU.
Riadh Ben Aïssa dément avoir été impliqué dans la fuite de Saadi Khadafi.
Riadh Ben Aïssa prétend que SNC-Lavalin a fait des pieds et des mains pour entretenir de bonnes relations avec Saadi Khadafi afin d'obtenir de lucratifs contrats pour SNC-Lavalin en Libye.
« Non seulement, c'était connu, mais les hauts dirigeants faisaient tout pour maintenir de bonnes relations avec le fils du dictateur. »— Riadh Ben Aïssa, dans les documents de la défense
Riadh Ben Aïssa affirme que SNC-Lavalin a offert à Saadi Khadafi un yacht, des vêtements griffés et a payé pour un concert du rappeur 50 Cent.
Riadh Ben Aïssa est aussi nommé dans une deuxième poursuite par SNC-Lavalin, lui réclamant 127 millions de dollars, pour malversation. L'avocat de Riadh Ben Aïssa a déposé une requête pour faire rejeter cette demande.
Dans les documents de la défense, il décrit comment le pdg de l'époque, Jacques Lamarre, lui avait demandé de développer de nouveaux marchés en Afrique du Nord, en utilisant son amitié avec Saadi Khadafi. Riadh Ben Aïssa y détaille une longue liste de contrats d'une valeur de plusieurs milliards de dollars obtenus grâce à des pots-de-vin.
Un yacht, des prostitués et des Spice Girls en cadeau
Selon Ben Aïssa, les hauts dirigeants connaissaient très bien l'importance de Saadi Khadafi pour le travail de SNC-Lavalin en Libye.
Afin de cimenter ces liens, Ben Aïssa prétend que les hauts dirigeants de SNC-Lavalin ont notamment approuvé de nombreuses faveurs, dont :
- l'embauche de professeurs universitaires comme tuteurs;
- de l'aide pour obtenir un visa canadien;
- considérer de nommer Saadi Kadhafi comme vice-président de SNC;
- aider au financement de son équipe professionnelle de soccer.
Dans sa défense, il mentionne aussi l'achat d'un luxueux yacht de plus de 38 millions de dollars pour Saadi Kadhafi, une dépense « autorisée et validée par l'ex-chef des affaires financières de SNC-Lavalin, Gilles Laramée », indique le document de la cour.
L'émission Enquête avait dévoilé il y a deux ans qu'en Suisse, où Riadh Ben Aïssa a été reconnu coupable de corruption et de blanchiment d'argent, les autorités avaient retracé et saisi ce bateau pouvant héberger dix personnes et huit membres d'équipage.
De plus, lors de la visite de Saadi Khadafi au Canada, en 2008, SNC-Lavalin aurait tout payé : hôtels, restaurants, limousines, services de sécurité. La facture : presque 2 millions de dollars.
Saadi Khadafi traité royalement
Dans un reportage de l'émission Enquête en 2013, l'ex-PDG de la firme, Jacques Lamarre, avait raconté comment la visite de Saadi Khadafi au Canada leur avait coûté cher et que SNC-Lavalin avait dû assurer sa sécurité.
Dans un reportage de l'émission Enquête en 2013, l'ex-PDG de la firme, Jacques Lamarre, avait raconté comment la visite de Saadi Khadafi au Canada leur avait coûté cher et que SNC-Lavalin avait dû assurer sa sécurité.
« Quand il est parti, j'étais tellement content. Il n'avait pas fait trop de stupidités. Par contre, on a là une facture de presque 2 millions de dollars. J'étais extrêmement fâché », a dit alors Jacques Lamarre.
Pierre Duhaime, l'ex-PDG, était « au courant et acceptait » que tout cet argent soit dépensé afin d'aider la famille de Saadi Kadhafi, lorsque le régime de Mouammar Kadhafi est tombé en 2011, allègue Ben Aïssa.
Il prétend que certaines de ces dépenses - dont plus de 25 000 $ en vêtements de Harry Rosen, « des services de prostitution et des billets pour un spectacle des Spice Girls » - ont été facturées à une compagnie Garda, puis payées par SNC.
« La majorité des hauts dirigeants de SNC savaient très bien que ces compagnies-écrans étaient en fait des pots-de-vin payés aux autorités libyennes en échange de l'obtention de contrats », allègue Riadh Ben Aïssa.
De plus, le fils de Kadhafi a visité de nouveau le Canada l'année suivante, et SNC a alors payé un spectacle du rappeur 50 Cent lors d'une fête avec des employés de SNC, une soirée qui aurait coûté 550 000 $, selon Ben Aïssa.
Il déclare aussi dans sa défense que ce sont des employés de la compagnie qui se seraient occupés de payer les dépenses de rénovations du condo torontois de Saadi Khadafi, rénovations qui auraient été autorisées par Jacques Lamarre lui-même, alors PDG de la firme.
Selon Ben Aïssa, ils auraient même payé la femme de Saadi Khadafi en tant qu'employée de SNC-Lavalin au bureau au Maroc, pendant et après le conflit en Libye, alors qu'elle n'y travaillait pas.
Pas de commentaires des principaux nommés
Joints par CBC, la plupart des hauts dirigeants nommés par Ben Aïssa ont choisi de ne pas commenter.
L'avocat, de Pierre Duhaime, l'ex-PDG de SNC-Lavalin, a fait savoir que ni lui ni son client ne souhaitaient commenter les allégations tenues dans la défense de Riadh Ben Aïssa.
Joint au téléphone, l'ex-chef des affaires financières de SNC-Lavalin, Gilles Laramée, qui a pris sa retraite, ne souhaite pas commenter. Il ne le fera qu'en Cour, s'il doit le faire, a-t-il précisé.
Michael Novak, qui a également pris sa retraite, a rétorqué que les allégations de Riadh Ben Aïssa étaient fausses.
« Personne ne savait que c'était lui (Riadh Ben Aïssa) qui était derrière les compagnies-écrans (qui servaient d'agents commerciaux). SNC-Lavalin International n'avait pas à vérifier qui étaient ces agents qui recevaient les paiements », a-t-il expliqué lors d'une conversation téléphonique.
« Ce n'est pas mon rôle de vérifier cela », a-t-il ajouté. « Nous [SNC-Lavalin international] on faisait seulement le côté marketing on ne s'impliquait pas dans la vente ou la signature des contrats. [...] La division de Riadh Ben Aïssa avait le contrôle de tous les contrats et relation d'affaires. »
Les autres poursuites contre Ben Aïssa
Riadh Ben Aïssa fait face, avec d'autres coaccusés, à deux autres poursuites civiles de la part de SNC-Lavalin, qui désire récupérer les sommes des supposés pots-de-vin payés en Libye et aussi au Centre de santé universitaire de McGill (CUSM), à Montréal. Il fait également face à une poursuite au criminel dans le dossier du CUSM.
En ce qui concerne la poursuite de SNC-Lavalin pour se faire rembourser plus de 127 millions de dollars payés pour obtenir des contrats en Libye, l'avocat de Riadh Ben Aïssa affirme que si la Suisse a reconnu Riadh Ben Aïssa coupable de corruption et de blanchiment d'argent, elle l'a toutefois acquitté de l'accusation de gestion déloyale envers son employeur. Lors des procédures suisses, SNC-Lavalin a, en effet, reconnu ne pas être une victime en ce qui concerne les paiements effectués à deux des compagnies-écrans, Duvel et Dinova.
Dans l'acte d'accusation, on peut lire : « La partie plaignante [SNC-Lavalin] n'estime cependant pas avoir été victime d'une escroquerie par rapport à ces versements. Faute de preuves, il y aura lieu d'acquitter Riadh Ben Aïssa également par rapport à ce volet de l'affaire. »
L'avocat de Riadh Ben Aïssa soutient donc que SNC-Lavalin ne peut prétendre qu'au Canada il y a eu paiement illégal à ces deux compagnies alors qu'elle aurait dit le contraire en Suisse.