Depuis un an, Marine Le Pen est probablement la candidate à l’élection présidentielle qui a été la moins présente dans les médias.
La scène était bouleversante. Devant le candidat d’extrême gauche Jean-Luc Mélenchon, interrogé jeudi soir sur France 2, une femme dans la cinquantaine témoignait. Valérie Gloriant, restauratrice à Calais, expliquait comment, un beau jour, des centaines de migrants rêvant de passer en Grande-Bretagne ont élu domicile devant son restaurant. Un gigantesque bidonville s’est alors érigé de l’autre côté de la rue. Avec le temps, les clients ont évidemment déserté son bistrot. Après des mois de lutte pour sa survie, Valérie Gloriant a finalement dû fermer ses portes. Ce fut la faillite. Comme elle n’avait pas droit au chômage, elle habite aujourd’hui chez des amis. Bref, la voilà à la rue. Au bout de quelques instants, la phrase que des millions de téléspectateurs attendaient est finalement venue : «Je vais voter pour Marine Le Pen, dit-elle […] même si mon coeur n’est pas pour elle.»
Parions que, ce soir-là, sans rien faire, la candidate du Front national a engrangé des milliers de voix supplémentaires. Depuis un an, Marine Le Pen est probablement la candidate à l’élection présidentielle qui a été la moins présente dans les médias. Il y a quelque mois, elle s’imposait même une cure médiatique. Les sorties tonitruantes auxquelles le Front national nous avait habitués sont de moins en moins fréquentes. Et pourtant, la progression est constante, jusqu’à atteindre aujourd’hui dans certains sondages 28 % au premier tour de l’élection. Un récent sondage Elabe lui attribue même un score inégalé de 44 % contre François Fillon au second tour. C’est du jamais vu.
«Marine Le Pen commence sa campagne quasiment aux plus hauts scores jamais atteints par le FN», expliquait le politologue Jérôme Fourquet dans le magazine L’Express. Et les gains sont particulièrement importants dans les classes populaires désertées par la gauche. Le Front national recrute aujourd’hui 44 % du vote des ouvriers, 35 % de celui des employés et 29 % de celui des inactifs. Or, cet électorat n’a pas fait disparaître l’électorat traditionnel du sud, composé notamment de petits commerçants. Il y a cinq ans, les sondages montraient que les électeurs les moins susceptibles de voter Front national étaient ceux qui s’identifiaient comme catholiques. Ce n’est plus le cas aujourd’hui puisqu’ils se déclarent dorénavant favorables au FN dans les mêmes proportions que les Français en général.
Les « affaires » ne l’atteignent pas
Cette progression lente mais constante explique probablement pourquoi l’électorat de Marine Le Pen est aussi le moins volatil. Alors qu’à 60 jours du premier tour de scrutin, 50 % des Français se disent toujours indécis, 80 % des électeurs de Marine Le Pen jugent leur choix définitif. Seul François Fillon jouit d’une solidité comparable (71 %), alors qu’Emmanuel Macron attire un électorat parmi les plus instables (36 % de votes sûrs).
Lors du passage de la candidate à la grande Émission politique de France 2, le 9 février dernier, la chaîne a enregistré une audience record (3,5 millions de téléspectateurs). Mais surtout, tout au long de l’émission, la candidate a été jugée convaincante par 41 % des téléspectateurs.
Signe de la solidité de cet électorat, Marine Le Pen semble ne pas souffrir le moins du monde des « affaires ». Le Parlement européen la soupçonne pourtant d’avoir fait travailler ses assistants parlementaires pour le FN. Vendredi, la candidate a même refusé de répondre à une convocation de l’Office anticorruption de la police judiciaire à Nanterre. Ce qui n’est pas illégal compte tenu de l’immunité dont jouissent les parlementaires européens.
Alors que François Fillon a perdu plusieurs points dans les sondages à cause du « Penelopegate » et qu’il peine à relancer sa campagne, la cote de Marine Le Pen, elle, n’a pas bougé. Elle a même monté un peu. Selon Antonin André, chef du service politique d’Europe 1, si les « affaires » glissent sur Marine Le Pen, c’est parce que «les dossiers judiciaires qui éclatent en pleine campagne sont interprétés comme des tentatives du système de l’entraver, de l’empêcher».
Selon lui, sa virginité politique demeure le grand atout de la présidente du FN. «Elle n’a jamais exercé le pouvoir. Cela lui vaut l’immunité, c’est ce qui la protège. Nicolas Sarkozy a déçu, François Hollande aussi, il faut essayer Marine Le Pen, voilà ce que se dit une partie de plus en plus importante de l’électorat.»
Plafond de verre ?
Pour tous les analystes, le scénario le plus probable de cette présidentielle est celui des élections régionales de 2015. Marine Le Pen était alors arrivée en tête dans la moitié des régions, mais au second tour, les électeurs de gauche s’étaient ralliés aux candidats de la droite comme Xavier Bertrand (Nord-Pas-de-Calais) et Christian Estrosi (Provence-Alpes-Côte d’Azur). On voit mal en effet comment le FN pourrait dans deux mois passer la barre des 50 % plus un. Même si le FN est devenu le premier parti de France, il n’a toujours pas d’alliés et il n’est pas près d’en avoir, soulignait l’historien et chroniqueur de l’hebdomadaire Marianne Jacques Julliard.
Mais, après le Brexit et l’élection de Donald Trump aux États-Unis, sommes-nous toujours dans ce même cas de figure ? Tant à cause de l’évolution du FN que de la conjoncture nouvelle, le poids de la rupture morale que représente un vote pour le Front national est aujourd’hui beaucoup moins lourd. Comme la rupture avec l’Union européenne et l’euro que propose Marine Le Pen paraît moins inquiétante après le vote des Britanniques. Un vote qui n’a d’ailleurs pas provoqué la catastrophe immédiate annoncée.
Voilà qui permet à Marine Le Pen de rejeter du revers de la main les prédictions de l’Institut Montaigne, un think tank de droite. Selon l’étude qu’il a publiée cette semaine, la sortie de l’euro que propose le FN pourrait, à long terme, coûter à la France neuf points de PIB, soit 200 milliards d’euros. Cette inquiétude économique explique les très mauvais résultats du FN chez les personnes âgées, qui craignent toujours pour leur épargne.
Plusieurs politologues, comme Jean Sébastien Ferjou, du site Atlantico, estiment cependant que «toute une partie de l’opinion française est en train de basculer dans un schéma mental révolutionnaire». Selon lui, dans le cas où le candidat naturel de la droite, François Fillon, serait éliminé au premier tour, il serait «dangereux d’exclure une hypothèse de report des voix de droite vers un candidat beaucoup plus décomplexé que Fillon sur la question des réformes à pratiquer».
Même si la victoire de Marine Le Pen n’est peut-être pas pour 2017, de plus en plus d’analystes imaginent une élection législative (en juin) où le FN pourrait enfin faire élire des députés, peut-être même grâce au concours d’une partie des Républicains déboussolés par une disqualification au second tour. François Hollande a passé quatre ans à se chamailler avec ses propres frondeurs de gauche. Il n’est pas exclu que le prochain président doive composer avec une assemblée encore plus difficile à discipliner.
9 décembre 2016 |Europe Guillaume Daudin - Agence France-Presse à Paris Charlotte Plantive - Agence France-Presse
Photo: Jacque Nadeau Le Devoir
La candidate de l’extrême droite française, Marine Le Pen
La candidate de l’extrême droite française Marine Le Pen a déclaré jeudi qu’elle interdirait l’école aux enfants d’étrangers sans papiers si elle était élue présidente en 2017, s’attirant une volée de critiques.
«Je n’ai rien contre les étrangers, mais je leur dis: “Si vous venez dans notre pays, ne vous attendez pas à ce que vous soyez pris en charge, à être soignés, que vos enfants soient éduqués gratuitement, maintenant c’est terminé, c’est la fin de la récréation!”», a déclaré Marine Le Pen lors d’une rencontre avec la presse.
La patronne du Front national (FN), que tous les sondages annoncent au second tour de la présidentielle, a ensuite précisé à l’AFP vouloir aussi faire payer aux parents étrangers en situation régulière mais qui ne travaillent pas, une « contribution » aux frais de scolarité de leurs enfants.
«Plus de scolarisation des clandestins. Et contribution au système scolaire de la part des étrangers sauf s’ils cotisent en situation légale», a-t-elle dit, assurant que «demander une participation aux étrangers pour la scolarisation de leurs enfants […] se fait dans beaucoup de pays dans le monde».
En France, conformément à la déclaration universelle des droits de l’Homme, l’école publique est gratuite et obligatoire pour tous les enfants, sans distinction sur la situation administrative des parents.
D’une façon générale, «nous envisageons un accès restreint à la gratuité de certains services publics et à certaines prestations sociales aux étrangers qui arrivent dans le pays et n’ont pas encore cotisé et payé d’impôt», a ajouté Marine Le Pen, qui « précisera » ses intentions ultérieurement.
« Provocation »
Sans attendre, sa déclaration a été qualifiée d’« énorme provocation» par le parti socialiste, de «barbare» par le candidat de la gauche radicale à la présidentielle Jean-Luc Mélenchon, et de «profondément choquante» par le parti Les Républicains.
La ministre de l’Éducation Najat Vallaud-Belkacem a condamné son «indifférence la plus totale à des situations humainement terribles affectant de jeunes enfants» et «sa méconnaissance de tous les principes républicains et de toutes les conventions internationales dont la France est signataire».
«Il faudra un jour expliquer à Marine Le Pen que le déracinement lié à l’immigration n’est pas “une récréation”», a de son côté jugé la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), pour qui «Marine Le Pen plagie son père».
Cette ancienne avocate de 48 ans a pris les rênes du Front national en 2011 au départ de son père Jean-Marie Le Pen, cofondateur et président du parti pendant une quarantaine d’années.
Tout en restant fidèle aux fondamentaux du FN (contre l’immigration, l’islam et l’Europe), elle s’attache depuis à éviter les dérapages racistes et antisémites qui avaient valu à son père de multiples condamnations.
Bloquer le Front national
Cette stratégie, ainsi que la montée des inquiétudes face aux attentats djihadistes et à la crise migratoire européenne, lui ont permis de progresser à chaque élection. Mais les sondages la donnent battue au second tour face au candidat de la droite François Fillon, comme son père l’avait été en 2002.
À l’époque, de nombreux électeurs de gauche avaient voté pour le président sortant de droite Jacques Chirac dans le seul but d’empêcher Jean-Marie Le Pen d’être élu. Ce «front républicain» a de nouveau privé le FN de deux régions lors d’élections locales fin 2015.
Pour éviter ce scénario en 2017, Marine Le Pen a fait toute sa pré-campagne sur le slogan de « la France apaisée », afin de rassurer les nombreux Français, qui lui restent hostiles.
Ses propos sur l’école semblent marquer une inflexion, ce qui préoccupe certains membres de son parti. «Si elle dit des bêtises comme ça, la campagne va rater» s’est inquiété un responsable du FN.
L’élection surprise de Donald Trump aux États-Unis aurait-elle délié sa parole ? Le milliardaire républicain avait, durant sa campagne, également promis d’abandonner un programme qui permet à des centaines de milliers de jeunes sans-papiers d’étudier. Dans une interview récente, le président élu a toutefois semblé prêt à revenir sur cette promesse.