JoAnne Labrecque, professeure agrégée à HEC Montréal, spécialisée en marketing de l’alimentation et en commerce de détail, a pris le pouls d’un groupe de consommateurs et d’industriels en ce qui concerne le vaste champ de la saine alimentation. Un questionnement venu volontairement de la base — «Pour vous, qu’est-ce qu’une alimentation santé et que faites-vous pour y parvenir?» — qui devrait permettre d’y voir un peu plus clair dans la cacophonie alimentaire ambiante.
Dans un premier temps, l’étude (dont le petit nom complet est «Étude des pratiques commerciales des industriels visant à développer des produits santé ou améliorés en cohérence avec le marché de consommation au Québec») s’est intéressée aux consommateurs. Ainsi, dès 2014, 60 entrevues se sont tenues dans plusieurs grandes villes : 20 au Québec (Montréal, Québec), 20 en France (Paris, Nantes) et 20 aux États-Unis (Boston, New York).
Les entretiens, fouillés — pour savoir comment les gens définissent leur univers alimentaire, notamment sous l’angle de la santé, et comprendre la manière dont ils sélectionnent les produits pour atteindre leurs objectifs santé —, ont été menés par JoAnne Labrecque, la chercheuse responsable, son équipe et ses partenaires. Par exemple, on cherchait à savoir comment ils font pour manger plus de légumes et de fruits frais, s’approvisionner en produits biologiques ou locaux, cuisiner davantage les fins de semaine.
Puis, en 2015, ce fut au tour de 40 entreprises (20 américaines, 20 québécoises) d’être mises sous la loupe, afin de mieux saisir leur processus d’innovation dans le but d’améliorer certains de leurs produits et de voir comment eux-mêmes définissent un produit santé dans leur secteur. Diminution de la teneur en sel, changements dans les recettes (comme remplacer un édulcorant artificiel par du sucre naturel), réduction du nombre d’ingrédients dans la composition d’un produit…
L’étude a permis de dégager certaines convergences au sein des entreprises interrogées, mais aussi de voir que tout le monde ne joue pas forcément le jeu santé, ou, du moins, le comprend différemment !
Résultats
Que révèlent les résultats de cette recherche universitaire du côté des consommateurs ? Qu’une diète équilibrée arrive en tête de leurs préoccupations, suivie de la fraîcheur des produits, de leur phobie des substances chimiques (additifs, colorants), de leur résistance aux OGM, de leur penchant pour les produits enrichis (en vitamines ou probiotiques, par exemple), des bénéfices sur la santé des aliments biologiques et des choix santé faits au restaurant. Sans oublier la satisfaction de manger sainement, qui participe au bien-être général.
«C’est encourageant de voir qu’une notion forte comme celle de la diète équilibrée ressort en premier. Cela va notamment à l’encontre d’une recherche de l’aliment miracle», explique Martin Lemire, nutritionniste de formation, cofondateur du programme DUX (voir l’encadré) et instigateur de cette étude qui a pu se faire grâce à l’obtention d’un financement du Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies (FRQNT).
«Mais attention! Une diète équilibrée ne veut pas dire que je mange de façon équilibrée à chaque repas. Les gens le savent, quand ils mangent moins équilibré. Ils vont alors tenter de réajuster le tir soit dans la journée, soit dans le courant de la semaine», précise JoAnne Labrecque.
Cette composante de diète équilibrée, qui arrive en tête des préoccupations des consommateurs en ce qui a trait à leur santé, amène forcément les gens à cuisiner davantage chez eux. Et c’est là que les industriels entrent en jeu. Car, entre les rythmes de vie actuels qui pompent en stress et en temps et les intentions de consacrer plus de temps à la préparation des repas, il faut trouver des accommodements culinaires ! Les entreprises agroalimentaires vont alors nous proposer des solutions pour prendre des raccourcis dans les préparatifs et réaliser ce qu’on appelle une cuisine d’assemblage.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir
Même chose du côté de la restauration. «C’est pourquoi cela doit être un effort collectif. Ce n’est pas que les gens ne veulent pas manger sainement, c’est qu’il y a plusieurs facteurs importants à considérer dans tout cet environnement nutritionnel propre aux consommateurs: il faut que ce soit attrayant (goût), abordable (portefeuille) et accessible. Dans ce sens, il y a beaucoup de sensibilisation à faire. C’est pourquoi comprendre où le consommateur se situe peut aider à mieux cibler le message», explique la responsable de l’étude.
Mais, au bout du compte, le message n’est-il pas le même depuis des années ? Une diète équilibrée, n’est-ce pas opérer un retour à la case départ ? «Effectivement, on revient à la base. Mais, comme l’environnement, les conditions et les méthodes de production ont évolué et il est nécessaire de prendre du recul pour savoir où on en est aujourd’hui», précise JoAnne Labrecque. Par exemple, la notion de produit local est souvent associée à l’aspect santé ; on voit que la localité devient de plus en plus importante, pour des raisons écologiques, mais aussi pour la qualité des produits. Certains facteurs deviennent plus prédominants que d’autres. La notion de naturalité, cela fait au moins dix ans qu’on en entend parler. Pourtant, elle est encore là, bien présente. Parce que les conditions changent, parce que l’environnement change. Le consommateur réagit à cela ; il s’adapte.
«La naturalité, le fameux clean label, est aujourd’hui mieux perçue et comprise», indique Mme Labrecque. Qui précise aussi qu’il faut regarder ce qui est fait positivement, notamment au sein des entreprises de taille moyenne, qui ont la faculté de s’adapter plus vite au changement, de proposer des solutions. «C’est vrai qu’on revient à un vieux discours: une diète variée, une diète équilibrée… Mais la grande différence est qu’il y a une volonté de synergie entre tous les intervenants de la chaîne. Auparavant, le “bien manger” était une notion un peu marginale. Aujourd’hui, il s’est démocratisé. Il y a une volonté des acteurs du milieu à aller de l’avant et à répondre aux attentes des consommateurs en tenant compte de la réalité», ajoute Martin Lemire.
Pour les deux protagonistes de l’étude, il est grand temps également de parler en faisant des nuances. «On a tendance à généraliser. Beaucoup d’experts parlent de “l’industrie”, du “consommateur”. Comme s’il n’y avait qu’une seule entreprise ou un acheteur unique! Alors que nous avons tous une compréhension et une posture différentes en ce qui concerne le champ de l’alimentation santé», explique JoAnne Labrecque. Donc, tout devrait être nuancé.
Nuancer l’ampleur des résultats de cette étude (100 entrevues, c’est une goutte d’eau dans un océan de mangeurs !), nuancer les critiques formulées à l’encontre des industriels (tous ne sont pas dans le même bateau) et nuancer les futurs messages nutritionnels si l’on veut faire avancer le schmilblick concernant l’offre santé sur le marché.
D’ailleurs, pourra-t-on un jour atteindre une offre santé à 100 % ? Pour la professeure à HEC, non. Notamment parce que la dimension plaisir reste importante. Par contre, l’offre santé est beaucoup plus large aujourd’hui qu’avant. Pour JoAnne Labrecque, cette étude devrait permettre d’ajuster le discours, d’influencer les entreprises et d’établir un cadre de réflexion pour le travail à mener avec les différents intervenants de la chaîne, de l’entreprise agroalimentaire en passant par les experts en santé publique.
C’est pourquoi le règne des pastilles, symboles, logos et autres simplifications visuelles qui mettent tout le monde dans le même sac et tendent à lisser les propos, à nous bêtifier, n’est peut-être pas toujours si pertinent.
Renoir en roseCoup de chapeau au chef Olivier Perret, du restaurant Renoir Sofitel Montréal Le Carré Doré, qui remet le couvert le 25 janvier en organisant, avec toute son équipe en cuisine et en salle, ainsi qu’une dizaine de chefs montréalais invités, le grand souper-bénéfice annuel au profit de la Fondation du cancer du sein du Québec et de la Fondation du cancer des Cèdres.
Le programme DUX, c’est quoi ?Martin Lemire et sa conjointe Lyne Gosselin ont fondé le programme DUX en 2012. Cette initiative privée, aujourd’hui reconnue par la plupart des acteurs du milieu de la saine alimentation au Québec, vise à souligner les bons coups en matière d’innovation et d’amélioration de l’offre chez nous. Il y a trois grands axes dans le programme: la reconnaissance d’initiatives, petites ou grandes (des produits, des projets, des campagnes de communication, etc.) à travers un concours et un gala annuels; la recherche; le transfert de connaissances et la sensibilisation des consommateurs ou des industriels.
C’est la première fois que le volet recherche du programme DUX obtient un financement pour mener une recherche universitaire de cette ampleur. Cette année, la soirée de gala qui se tient le 25 janvier au Marché Bonsecours, à Montréal, sera précédée d’une rencontre-causerie où JoAnne Labrecque présentera les grandes lignes des résultats de son étude.
Ces études serviront à orienter le Québec vers une exploitation d’hypothétiques gisements pétroliers et gaziers sur son territoire, estime le gouvernement.
Au moment où plusieurs voix s’élèvent pour exiger que le Québec se détourne des énergies fossiles, les études environnementales lancées par les libéraux de Philippe Couillard sur cette filière indiquent clairement que le gouvernement a l’intention d’ouvrir toute grande la porte à l’exploitation pétrolière et gazière. Même le gaz de schiste est évoqué, selon ce qu’a constatéLe Devoir.
Sans tambour ni trompette, ni communiqué, le gouvernement vient de rendre publics une série de rapports produits dans le cadre des évaluations environnementales stratégiques (EES) menées sur les hydrocarbures. Celles-ci ratissent large, puisqu’elles incluent le golfe du Saint-Laurent, la Gaspésie, les basses terres du Saint-Laurent et l’île d’Anticosti. Et contrairement à ce qui se produirait si les études étaient menées par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement, c’est un comité du gouvernement qui contrôle ces EES.
Québec estime d’ailleurs que ces études, pour lesquelles 4 millions de dollars doivent être dépensés, serviront à orienter le Québec vers une exploitation d’hypothétiques gisements pétroliers et gaziers sur son territoire. «Conjugués aux orientations retenues pour la politique énergétique, qui sera présentée [à la fin 2015], les résultats et recommandations des EES permettront au gouvernement d’élaborer un cadre légal et réglementaire assurant une mise en valeur et un transport responsables et sécuritaires des hydrocarbures au Québec», peut-on lire dans la «Synthèse des connaissances et plan d’acquisition de connaissances additionnelles».
Ce document d’une centaine de pages résume une dizaine de rapports qui dressent un portrait des risques et des opportunités liés aux projets d’exploration et d’exploitation d’énergies fossiles en développement dans plusieurs régions du Québec. Il traite aussi des questions du transport de ces ressources sur le territoire, et ce, par train, par bateau et par pipeline.
Le rapport relève aussi plusieurs lacunes dans les connaissances. Le gouvernement a d’ailleurs prévu que pas moins de 64 études devront être menées au cours des prochains mois pour compléter le portrait. La liste des études à venir fait mention de la volonté du gouvernement d’établir «les meilleures pratiques» en vue d’élaborer la loi qui encadrera l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures.
On souligne ainsi la volonté de recenser les «meilleures pratiques» pour les forages en milieu marin et terrestre, mais également pour les levés sismiques dans ces deux milieux. On veut en outre dresser un portrait de la rentabilité d’éventuelles exploitations.
Le gouvernement cherche aussi à savoir s’il est possible de «combler les lacunes établies dans le cadre de l’EES sur les gaz de schiste quant à l’impact potentiel de ces activités sur l’environnement».
Le rapport synthèse mentionne pour sa part l’idée que l’exploitation gazière dans les basses terres du Saint-Laurent excéderait la demande du marché québécois. «L’une des études de la seconde phase de l’EES globale examinera les marchés potentiels en fonction de quelques scénarios de production de gaz naturel au Québec», peut-on lire dans le rapport, à la section«connaissances à compléter». La vaste majorité des permis d’exploration des gazières en vigueur en 2010 le sont toujours.
Plusieurs études à venir d’ici les prochains mois doivent par ailleurs aborder le cas de l’île d’Anticosti, par exemple pour élaborer des scénarios de production pétrolière et déterminer les infrastructures à construire. Le gouvernement souhaite aussi étudier les «risques» liés à l’arrivée de cette industrie sur l’île.
Le hic, c’est que le plan d’acquisition de connaissances du gouvernement et les délais pour le réaliser font en sorte que les nombreuses études commandées dans le cadre de l’EES ne pourront pas tenir compte des forages avec fracturation. En raison d’importants retards dans les travaux d’exploration financés par l’État à hauteur de 70 millions de dollars, les forages avec fracturation n’auront pas lieu avant 2016. Mais le rapport final de l’EES doit être publié avant la fin de 2015.
Risques et lacunes
Toujours en ce qui a trait aux risques environnementaux liés à l’industrie pétrolière, le rapport synthèse fait état des impacts potentiels liés à l’exploitation dans le golfe du Saint-Laurent. Il recense aussi une longue liste de «lacunes», dont le manque de réglementation pour les plateformes de forage et la faible capacité d’intervention en cas de déversement. Qui plus est, «les connaissances quant à l’effet de la présence de glace sur l’efficacité des méthodes de récupération d’hydrocarbures sont insuffisantes».
Les lacunes en cas d’«accident» ne se limitent pas au milieu marin, selon ce qui se dégage du rapport. Qu’il s’agisse de sites d’exploitation ou de transport d’hydrocarbures, la préparation des municipalités «est souvent insuffisante», ainsi que leur capacité d’intervention.
«Les entreprises ne collaborent pas assez aux efforts de prévention et de préparation des municipalités, notamment en ne transmettant pas suffisamment d’information sur les produits utilisés ou transportés, et ne dévoilent pas clairement la nature des risques et les capacités d’intervention dont elles disposent», indique aussi le document. Quant aux sites d’exploitation d’énergies fossiles, les plans d’intervention «sont souvent des plans généraux, qui ne sont pas adaptés aux particularités de chaque site».
Selon le plan du gouvernement, l’ensemble des études devant permettre de combler les lacunes relevées jusqu’ici dans le cadre des EES doivent être complétées d’ici le début de l’automne 2015. La démarche avait été annoncée en juillet 2014.
Malgré l’ampleur du travail à effectuer, les délais de réalisation de cette vaste évaluation sont relativement brefs. À titre de comparaison, le rapport de l’EES réalisée par la firme Genivar et portant uniquement sur le golfe du Saint-Laurent — une étude commandée par les libéraux — a nécessité près de trois ans de travaux.
Cette fois, le gouvernement souhaite compléter l’EES pour Anticosti, la Gaspésie, le golfe du Saint-Laurent et les basses terres du Saint-Laurent en à peine plus d’une année. Le tout doit en outre être suivi rapidement du dépôt d’une loi pour encadrer l’exploration et l’exploitation des énergies fossiles au Québec. Une telle législation n’existe pas à l’heure actuelle.
Quid des rivières à saumon?
L'évaluation environnementale stratégique identifie de nombreuses lacunes dans les connaissances sur les risques environnementaux de l'exploitation pétrolière sur l'île d'Anticosti. Le gouvernement a d'ailleurs prévu de mener plusieurs études à ce sujet au cours des prochains mois, notamment pour tenter de mesurer les impacts de la demande en eau de l’industrie sur les 24 rivières à saumon d'Anticosti. Un seul forage avec fracturation peut nécessiter entre 12 000 et 16 000 mètres cubes d'eau.