13 novembre 2017 | Marco Bélair-Cirino - Correspondant parlementaire à Québec | Québec
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Le comité d’experts sur le revenu minimum presse le gouvernement québécois de majorer l’aide aux ménages sans enfant — « mal protégés » à l’heure actuelle selon lui — en bonifiant à la fois le chèque d’aide sociale des sans-emploi et la prime au travail des bas salariés.
Il a dévoilé lundi son rapport final coiffé du titre « Le revenu minimum garanti : une utopie ? Une inspiration pour le Québec » dans lequel il formule 23 recommandations.
Il suggère notamment d’augmenter l’aide sociale de 472 $ par an pour une personne seule et de 311 $ par an pour un couple sans enfants, ce qui permettrait à ces ménages sans contraintes à l’emploi de toucher un revenu disponible correspondant à 55 % de la Mesure du panier de consommation (MPC), soit 9745 $ en 2016.
En 2016, la MPC s’établissait à 17 716 $.
Une unité familiale est à « faible revenu » si son revenu disponible à la consommation est inférieur à la valeur d’un panier comprenant nourriture, vêtements et chaussures, logement, transports, ainsi qu’autres biens et services (ameublement, téléphone, produits domestiques, frais scolaires, loisirs) évalué à 17 716 $ en 2016. En deçà de 9745 $ (55 % de la MPC), elle est considérée « pauvre ». Cette mesure coûterait 86,4 millions de dollars.
En ce moment, une personne seule âgée de moins de 65 ans reçoit 9192 $ (52 % de la MPC) et un couple sans enfant 13 355 $ (54 % de la MPC).
« Pour les personnes qui en ont la capacité, c’est l’accroissement du revenu par l’intégration au marché du travail qui permettra au prestataire de dépasser le seuil de pauvreté », poursuit le Comité d’experts sur le revenu minimum garanti, qui a été mis sur pied par le gouvernement Couillard en juin 2016. Dans cet esprit, il propose aussi de « renforcer de façon importante » la prime au travail.
Le comité propose de tirer vers le haut cette « prime » de façon à ce qu’une personne sans enfants travaillant environ 18 heures par semaine au salaire minimum touche 1661 dollars de plus par année. Sa prime au travail passerait de 730 $ à 2391 $.
Le comité évalue le coût de cette « bonification majeure de la prime au travail » qui inciterait plus d’une personne à quitter le programme d’assistance sociale et à retourner sur le marché du travail à plus de 1 milliard de dollars par année pour l’État.
La bonification de la prime au travail proposée « diminuerait significativement le taux effectif marginal d’imposition des ménages à plus faible revenu, en le ramenant autour de 50 % dans la zone de réduction de l’aide sociale — soit la première zone stratégique identifiée », peut-on lire dans le rapport final dévoilé lundi matin.
Le comité propose une « application graduelle » en bonifiant la prime au travail dans un premier temps pour les personnes seules (396 000) et couples sans enfants (45 000). La facture annuelle : 109 millions de dollars.
Il s’agirait d’un « rattrapage » par rapport aux ménages avec enfants, soutient-il. Les ménages sans enfants bénéficient actuellement d’un taux de supplémentation du revenu de 29,5 %, alors que les couples avec enfants bénéficient d’un taux de 33,0 % et les familles monoparentales d’un taux de 42 %.
D’autre part, le Comité recommande le versement automatique de certains crédits d’impôt, le paiement de différents soutiens au moyen d’un chèque unique ainsi qu’une couverture supplémentaire aux personnes faisant face à des « situations de transition ».
Revenu minimum garanti absolu : des problèmes d’équité
La présidente du Comité d’experts sur le revenu minimum garanti, Dorothée Boccanfuso, recommande au gouvernement libéral de « transformer » et d'« améliorer » le système de soutien du revenu actuel. Elle le dissuade d’instaurer le revenu minimum garanti au moyen d’une allocation universelle et d’impôt négatif sur le revenu — en dépit du préjugé favorable affiché par le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale, François Blais. Une telle réforme créerait des « problèmes d’équité et dans certains cas d’efficience et d’incitation au travail », fait-elle valoir.
M. Blais déposera cet automne un nouveau plan de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale d’ici la fin de l’année. Il entend sortir de la pauvreté quelque 100 000 Québécois.
« Vision rétrograde »
Le député péquiste, Harold LeBel, n’arrivait pas à croire lundi que le comité ait timidement appelé le gouvernement libéral à verser une aide équivalente à 55 % de la MPC, c’est-à-dire « à peine la moitié du montant nécessaire pour sortir de l’extrême pauvreté ». « On dirait que le gouvernement a donné au Comité un mandat qui allait lui fournir les recommandations dont il avait besoin. En effet, le mandat n’étant pas spécifiquement axé sur l’amélioration du soutien au revenu — il était davantage orienté vers la simplification du régime et l’incitation au travail —, le comité pouvait difficilement recommander la bonification substantielle des prestations d’aide. Le gouvernement cherchait-il vraiment une façon d’aider les plus vulnérables ? », a demandé le porte-parole de l’opposition officielle en matière de lutte contre la pauvreté. « Le gouvernement doit faire mieux et s’assurer que tous les Québécois ont accès à un revenu décent, qui leur permette de réellement sortir de la pauvreté ».
Le porte-parole du Collectif pour un Québec sans pauvreté, Serge Petitclerc, reproche au comité d’avoir été aveuglé par ses préjugés lors de la rédaction de son rapport. « Viser 55 % de la MPC, c’est attaquer de front le consensus social selon lequel la MPC représente un seuil minimal pour couvrir les besoins de base. C’est faire le choix de maintenir des centaines de milliers de personnes dans la misère. Le comble, c’est quand on nous dit que cela devrait aider les gens à intégrer le marché du travail. Comme si on proposait de les écraser un peu plus pour les aider à se relever. Cette vision rétrograde démontre l’ampleur des préjugés qui ont guidé le travail du comité d’experts. Ce n’est pas vrai que les personnes en situation de pauvreté le sont par choix », a-t-il insisté.
Il exhorte M. Blais à renforcer les protections publiques pour assurer à tous et toutes un revenu au moins égal à la MPC — 17 716 $ par année —, à augmenter le salaire minimum à 15 $ l’heure, puis à lancer une campagne de sensibilisation visant à « changer les mentalités et à contrer les mythes et les préjugés » accablant les Québécois dans la pauvreté.