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mercredi, septembre 30, 2015

Jean Charest et l’arme du temps

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Josée Legault
MISE à JOUR 

16 ans après l'échec de l'accord du Lac Meech et la création d'un «groupe parlementaire distinct» qu'on nommera le Bloc québécois, on voit ici Jean Charest & Lucien Bouchard en 2006 lors de l’annonce de la construction de la nouvelle salle de l'OSM. Le passage du temps change beaucoup de choses en politique...

 16 ans après l'échec de l'accord du Lac Meech et la création d'un «groupe parlementaire distinct» qu'on nommera le Bloc québécois, on voit ici Jean Charest & Lucien Bouchard en 2006 lors de l’annonce la construction de la nouvelle salle de l'OSM. Le passage du temps change beaucoup de choses en politique...  Écrite dans la foulée de la montée des mouvements indépendantistes écossais et catalans, ma chronique de mardi – «Les mauvais gagnants» -, analysait le refus catégorique de la classe politique canadienne d’accommoderconcrètement la «différence» québécoise au sein même de la fédération canadienne. Et ce, depuis le référendum de 1995.
J’y avançaisdonc  ceci :
«Si la classe politique canadienne ne donne rien, c’est avant tout parce qu’elle voit le temps comme un allié de taille. Elle mise sur l’usure du temps et sur l’étiolement du mouvement souverainiste.
De Lucien Bouchard à Pauline Marois, le long silence du PQ sur sa propre option lui fut d’ailleurs un allié précieux. La persistance d’un rêve autonomiste impossible en est un autre.»
Ah, le temps... Comme le rappelait souvent Robert Bourassa, comme il peut être précieux en politique...
En complément à ma chronique – et pour illustrer mon propos -, permettez-moi de vous donner maintenant des nouvelles de Jean Charest. Eh oui, chanceux que vous êtes...
Un vétéran de la question nationale
De l’ex-premier ministre du Québec, on ne pourra jamais dire que l’homme n’est pas un véritable animal politique.
Pour avoir survécu à 28 ans de politique active – 14 ans à Ottawa au Parti conservateur et 14 ans au Québec au Parti libéral -, cet attribut lui fut vital.
Jean Charest est également un vétéran de la question nationale. Ou, comme on disait dans les années 80 et 80, de l'«industrie constitutionnelle».
Surnommé «Capitaine Canada» à l'époque du référendum de 1995 et en tout temps, un défenseur passionné du lien fédéral, le sujet n’a pas de secret pour lui.
C’est pourquoi en mai dernier, le jour même des élections générales au Royaume –Uni, j’ai porté grande attention à ce qu’il avait à en dire sur les ondes de CBC News à l’émission Power and Politics.
Rappelons que huit mois à peine après avoir perdu de près leur référendum sur l’indépendance de l’Écosse, le Scottish National Party (SNP) venait tout juste de rafler 56 des 59 sièges pour l’Écosse. Soit une augmentation fulgurante de 50 sièges pour le SNP par rapport à l’élection de 2010. Et ce, face à une victoire majoritaire pour le pays des conservateurs de David Cameron.
Ce qui, bien évidemment, n’allait pas sans rappeler les résultats spectaculaires du Bloc québécois à l’élection fédérale de 1993.
Créé en 1990 tout d'abord comme «groupe parlementaire distinct» dans la foulée de l’échec de l’accord constitutionnel du Lac Meech par l’ex-ministre conservateur Lucien Bouchard, le Bloc remporte alors 54 sièges sur 75 au Québec.
À l’étonnement généralisé, il hérite même du statut prisé d’opposition officielle de «Sa Majesté». Le tout, face à une victoire majoritaire des libéraux de Jean Chrétien.
***
De retour à Jean Charest
Rappelons maintenant que Jean Charest avait lui-même joué un rôle-clé dans les dernières semaines de la longue saga de l’accord de Meech.
Il signait alors le fameux «rapport Charest», lequel, en cherchant à «dénouer l’impasse» dans laquelle l’accord s’enfonçait de plus en plus, fut plutôt reçu entre autres par certains collègues du gouvernement Mulroney, dont Lucien Bouchard, comme une tentative inacceptable de dilution d’un accord pourtant déjà timide. (Rappelons aussi pour la petite histoire que c'est Lucien Bouchard lui-même qui avait proposé le nom de Jean Charest à Brian Mulroney pour mener cette délicate mission politique.)
Bref, en 1990, Jean Charest fut en partie à l’origine, bien involontairement bien sûr, de la démission prochaine et fracassante de Lucien Bouchard. Une démission qui mènerait à la création d’un Bloc québécois se voulant à l’origine une coalition arc-en-ciel de nationalistes déçus de la tournure des événements, qu’ils soient fédéralistes, autonomistes ou souverainistes.
De retour au 7 mai 2015. Soit à l’entrevue de Jean Charest à l’émission Power and Politics.
L’animateur lui demande alors ses réflexions sur la victoire écrasante du Scottish National Party à l’élection au Royaume-Uni. Surtout, il lui demande quels conseils il prodiguerait à David Cameron dorénavant aux prises avec un «bloc» impressionnant de députés écossais indépendantistes.
Jean Charest compare alors la situation au Royaume-Uni à celle du Bloc suite à l’élection fédérale de 1993 :
«This is a very dangerous business of breaking up countries by the way. (...) I think on the longer term better to have them in the House of Commons in front of you than being outside trying to break up the country. And that may sound a little painful, but it’s been the way we dealt with it in Canada. We accepted the fact that they were there, but actually wore them out through a debate that demonstrated that Canada works. (...)
From my perspective, I think it’s twenty years. It’s at least a twenty-year cycle, process, of winding down the discussion. They key here, though, is to keep that discussion and debate going. I don’t sense that the British government is very well prepared for everything they’re going to be facing in the next few months and that may the key.
If they’re not well prepared, a second referendum, I’m convinced, will reappear within the next ten years, maximum, probably earlier than that. And they need to establish a mechanism of ongoing debate, discussion, that will allow them to arrive at the right place.
Are they able to do that? Well, that’s a question mark. But much better to maintain that dialogue which is key than to not maintain that dialogue. Which would be fatal.»

Traduction libre :
«Cette histoire de briser des pays, en passant, ce sont des situations très dangereuses. (...)
Je pense toutefois qu’à long terme, il est préférable de les avoir (les indépendantistes) à l’intérieur même de la Chambre des communes en face de vous plutôt que de les laisser à l’extérieur tenter de briser le pays.
Cela peut vous sembler un brin douloureux, mais c’est la manière dont nous avons géré cette situation au Canada.
Nous avons accepté le fait qu’ils seraient là (au parlement), mais nous les avons épuisés en débattant et en faisant la démonstration que le Canada fonctionne. (...)
De mon point de vue, je pense que ça prend vingt ans. C’est un cycle d’au moins vingt ans, ce processus qui consiste à dégonfler cette discussion. La clé, par contre, est de toujours débattre et discuter.
Je ne sens pas que le gouvernement britannique est bien préparé pour tout ce qui les attend au cours des prochains mois. Et c’est ça, la clé.
S’ils ne sont pas bien préparés, un deuxième référendum (écossais), j’en suis sûr, sera tenu d’ici les dix prochaines années, au maximum. Et peut-être même avant ça.
Ils doivent donc établir un mécanisme de débat continu qui permette (au gouvernement Cameron) d’atteindre ses objectifs.
En seront-ils capables? Ça, c’est un point d’interrogation.
Mais c’est toujours mieux de maintenir le dialogue – c’est la clé -, que de ne pas le faire. Ce qui serait fatal (au gouvernement Cameron).»
***

En d’autres termes, Jean Charest explique clairement l'importance stratégique du facteur temps. Ou comment le temps peut s'avérer être un allié précieux pour les États qui, en leur sein même, font face à des mouvements indépendantistes. Parfois même, jusque sur les bancs du parlement central.
Des mouvements qui, lorsqu’ils échouent à se gagner l’appui d’une majorité des électeurs peuvent être, avec le temps, tout au moins affaiblis sans pour autant disparaître.
L’ex-premier ministre du Québec parle toutefois de le faire en maintenant une «discussion» entre l’État central et, si on le comprend bien, non pas nécessairement avec le mouvement indépendantiste qu’il cherche à désamorcer à plus long terme, mais tout au moins avec la population de l'État régional ou provincial où se trouve un mouvement indépendantiste. Ce qui, au Canada, depuis 1995, ne s’est pas produit. Pour Ottawa, seule l’arme du temps compte.
Doit-on alors comprendre des remarques de Jean Charest qu’il regrette aujourd’hui cette fermeture irrévocable du fédéral? Lui seul le sait...
***
Jean Charest dit aussi très clairement à quel point, du point de vue de l’État central, il est préférable d’avoir une forte députation d’indépendantistes à l’intérieur du parlement central au lieu de les avoir à l’extérieur en train de travailler plus activement à leur projet de «sécession». La référence, ici, étant également au Bloc québécois.
Que pensez-vous de l’«analyse» de Jean Charest?
Au moment même où le Bloc québécois se bat depuis l’élection fédérale de 2011 pour sa propre survie, la «perspective» de Jean Charest vous semble-t-elle éclairante? Ou pas?