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samedi, juillet 18, 2015

CONSEIL DE LA FÉDÉRATION Le pétrole divise les provinces

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17 juillet 2015 | Marco Bélair-Cirino à St. John’s, Terre-Neuve-et-Labrador | Canada
Le premier ministre Philippe Couillard
Photo: Andrew Vaughan La Presse canadienneLe premier ministre Philippe Couillard

Les divergences de vues des provinces et des territoires sur la place du pétrole et du gaz dans la Stratégie canadienne de l’énergie ont éclaté au grand jour jeudi, rendant incertaine l’adoption d’un texte final avant la clôture du Conseil de la fédération.

Les chefs de gouvernement provinciaux et territoriaux entreprendront vendredi avant-midi un blitz de négociations. En arriver à un document conciliant à la fois l’exploitation du pétrole et du gaz et la lutte contre les changements climatiques, « ce n’est pas facile », a admis le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, à l’issue du 1er jour de la rencontre annuelle des premiers ministres provinciaux et territoriaux. «Les choses vont bien. Une entente négociée, par nature, c’est un exercice d’équilibre. Il y a un équilibre à faire entre les questions environnementales — les changements climatiques —, auxquelles on tient beaucoup […] et les questions plus strictement économiques », a-t-il expliqué.

Les provinces et les territoires ont « très clairement encore du travail à faire » pour dégager un consensus sur un projet de Stratégie canadienne de l’énergie, a convenu l’hôte du Conseil de la fédération, le premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador, Paul Davis. « Work in progress ! » s’est-il exclamé. « À la fin de la journée, ce sont les intérêts du pays qui doivent prévaloir », a poursuivi son homologue néo-écossais, Stephen McNeil.

Wall à la défense du pétrole

D’humeur belliqueuse, le premier ministre de la Saskatchewan, Brad Wall, a sonné la charge des défenseurs de l’exploitation pétrolière et gazière dès son arrivée à l’Hôtel Sheraton, jeudi avant-midi.

À ses yeux, le brouillon de la Stratégie canadienne de l’énergie minimise l’importance du pétrole et du gaz dans l’économie canadienne et exagère celle des énergies renouvelables, comme l’éolien. Le pétrole est « à peine mentionné » dans le document de travail, a-t-il déploré, montrant du doigt le Québec et l’Ontario. Pourtant, le Canada renferme la troisième réserve prouvée d’or noir de la planète, après l’Arabie saoudite et le Venezuela, a rappelé M. Wall. « Pourriez-vous imaginer l’Arabie saoudite dévoiler une stratégie énergétique plaçant l’éolien avant le pétrole comme source d’énergie ? […] Ils ne feraient pas ça. Ils ne se préoccuperaient pas non plus de l’environnement autant que les Canadiens », a-t-il lancé.

Le doyen des premiers ministres provinciaux et territoriaux s’est dit las d’entendre le« Canada central » — le Québec et l’Ontario — casser du sucre sur le dos du pétrole de l’Ouest, alors qu’il s’agit d’une source de richesse pour l’ensemble du pays. « Le pétrole n’est pas une mauvaise chose. »

M. Wall n’a pas caché son exaspération concernant les mouvements d’opposition aux projets de pipelines — Énergie Est de TransCanada par exemple —, tout particulièrement au Québec et en Ontario.

« Peut-être que nous devrions envoyer des paiements de péréquation à travers un pipeline pour obtenir une approbation [des projets de pipeline] dans le Canada central », avait-il lâché avant de mettre le cap sur Terre-Neuve-et-Labrador mercredi soir. Les hostilités étaient lancées.

Le Québec n’appuiera pas un projet néfaste pour l’environnement ou contraire à la sécurité parce qu’il bénéficie des pétrodollars, a rétorqué M. Couillard. « Une grandepartie de la richesse générée au Canada […] qui est redistribuée sous forme de paiements de transfert[de péréquation] vient de l’économie de l’Ouest, qui est axée sur les combustibles fossiles. On sait cela. Mais, ce n’est pas une raison pour diminuer les standards environnementaux ou diminuer nos inquiétudes sur la sécurité des gens et ne pas inclure également dans la Stratégie de l’énergie la question des énergies renouvelables, notamment de l’hydroélectricité », a-t-il affirmé en point de presse.

De son côté, Brad Wall a insisté sur la nécessité de trouver de nouveaux débouchés au pétrole albertain et saskatchewanais. Le Canada se prive de revenus de centaines de millions de dollars puisque le pétrole issu des sables bitumineux est à l’heure actuelle « vendu au rabais » soit à un montant inférieur de six à huit dollars par baril au cours du Tide Water Oil ou du Brent. « Ça, c’est des revenus en moins aux propriétaires de la ressource. Et, les propriétaires des ressources pétrolières dans ce pays ne sont pas les gouvernements, ce ne sont pas Couillard, Notley et Wall, ce sont les personnes de ce pays », a soutenu le premier ministre saskatchewanais.

Une question de « crédibilité »

Une Stratégie canadienne de l’énergie embrassant les principes de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre permettra de redorer le blason du Canada, un producteur de pétrole non conventionnel, au sein de la communauté internationale, a aussi soutenu M. Couillard.« Malheureusement, notre pays a perdu de la crédibilité sur la scène internationale en raison de cela. Puisque nous sommes un producteur de pétrole, nous devrions être à la tête de la lutte contre les changements climatiques. »

Les décideurs politiques canadiens ont une « responsabilité morale de combattre les changements climatiques », a ajouté la première ministre ontarienne, Kathleen Wynne.

Cependant, selon M. Wall, le Canada constitue déjà un chef de file dans l’exploitation responsable des hydrocarbures. « Nous devrions être plus fiers que nous le sommes présentement [de l’industrie pétrolière et gazière canadienne]. »

En retrait, la première ministre albertaine, Rachel Notley, demandé à mots couverts à son confrère de baisser de ton. « Rester camper sur ses positions ne changera en rien », a-t-elle fait valoir en fin de journée.