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Publié le 13 mars 2017 à 05h00 | Mis à jour à 05h00
Cette caricature a été publiée dans Le Courrier du Sud de Longueuil.ILLUSTRATION TIRÉE DE L'INTERNET |
PHILIPPE TEISCEIRA-LESSARD
La Presse
La Presse
Le cabinet de Philippe Couillard a contacté vendredi dernier la «haute direction» de l'éditeur de journaux Transcontinental concernant la publication d'une caricature qui le dépeint en islamiste lapidant Fatima Houda-Pepin, a appris La Presse.
Le dessin a été aussitôt retiré du site internet du Courrier du Sud de Longueuil, l'un des plus gros hebdomadaires du Québec. Il a tout de même été livré dans 133 000 foyers mercredi dernier.
Sous le crayon du caricaturiste Jean-Marc Phaneuf, le premier ministre enfile une djellaba et tire des roches sur son ex-députée pour la Journée de la femme. «Bonne fête Fatima!», dit-il en bandant son bras.
«On a été informés en toute fin de journée vendredi par le bureau du premier ministre, a indiqué hier Katherine Chartrand, directrice des communications de Transcontinental, qui édite le Courrier du Sud. C'était à titre informatif, comme quoi il y avait eu cette caricature qui avait été publiée et puis qu'elle était de mauvais goût. Et honnêtement, on partageait la même opinion, quand on en a pris connaissance. C'était une caricature déplacée, inappropriée.»
Vendredi, le porte-parole du premier ministre avait affirmé par écrit à La Presse qu'«il appartient au Courrier du Sud et à son propriétaire, la société Transcontinental, d'indiquer si ce type de caricature correspond à sa ligne éditoriale».
«La liberté de presse et d'expression est un principe fondamental dans notre société. Dans ce contexte, des mots, des caricatures ou des gestes peuvent être irresponsables et de mauvais goût», affirme Harold Fortin, porte-parole du premier ministre.
Le même jour, la rédactrice en chef du Courrier du Sud, Geneviève Michaud, refusait de parler à La Presse au téléphone, indiquant par l'entremise de son adjointe qu'elle n'avait rien à dire.
Appelé à qualifier la nature de la communication avec Transcontinental, hier, Harold Fortin a indiqué qu'il n'avait «rien de plus» à dire.
Jointe chez elle, Fatima Houda-Pepin n'a pas voulu commenter le dessin. Elle est devenue la bête noire de M. Couillard depuis son exclusion du caucus libéral en 2014, dénonçant son inaction sur les sujets d'identité.
Le caricaturiste se défend
Si Transcontinental se dissocie du dessin, ce n'est pas le cas de son auteur, Jean-Marc Phaneuf.
«En tant que caricaturiste, je ne vois rien d'extraordinaire là-dedans, c'est une caricature parmi d'autres», a-t-il dit en entrevue téléphonique.
Selon lui, le dessin ne fait que reprendre le message d'«un paquet d'éditoriaux» déjà parus sur le thème de l'identité et de la laïcité. «C'est sûr que visuellement, ça frappe plus, on sent ça plus provocateur, a-t-il dit. C'est plus direct, on a moins de place à la nuance. C'est différent comme médium, c'est le médium qui veut ça. À mon sens, ça remplit la job.»
Le dessin prendra une résonance particulière pour certains : Philippe Couillard est régulièrement la cible d'attaques liées à son séjour de quatre ans en Arabie saoudite. Sur Facebook, plusieurs internautes lui attribuent une conversion à l'islam. Le leader de l'opposition péquiste à l'Assemblée nationale, Stéphane Bédard, avait dû s'excuser en 2015 pour avoir affirmé que le premier ministre était «très imprégné» des valeurs saoudiennes.
«Faut pas charrier non plus. Ce n'est pas un habit religieux, c'est un habit musulman. C'est quelque chose qui caractérise les prises de position de M. Couillard, ça va dans le même sens», dit M. Phaneuf.
Transcontinental, pour sa part, se montre embarrassé. «C'est sûr qu'on va présenter nos excuses aux deux parties, a indiqué Mme Chartrand. On a déjà présenté nos excuses verbalement à Mme Houda-Pepin et on envoie une communication au bureau du premier ministre demain matin.»
Mauvais moment
Transcontinental n'a pas choisi son moment pour froisser Philippe Couillard : les éditeurs de journaux locaux tentent de convaincre le gouvernement de maintenir l'obligation qu'ont les municipalités de faire publier leurs avis publics, contrairement à ce que prévoit un projet de loi à l'étude.
Le gouvernement accédait ainsi à une demande de la Fédération québécoise des municipalités (FQM), dont les membres économiseraient collectivement 20 millions en cessant cette pratique. Autant de revenus perdus pour les hebdomadaires et autres journaux locaux.
«Je ne veux pas être alarmiste, mais c'est sûr que lorsqu'on est en train de se transformer, que nos revenus publicitaires tirés du papier baissent et que l'on fait tout pour assurer sa transformation, [ça] ne vient pas nous aider», avait expliqué le grand patron de Transcontinental, François Olivier, à La Presse canadienne au début du mois de mars.