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lundi, mai 09, 2016

Le mirage du nationalisme sans identité

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MISE à JOUR 
Pour plusieurs, la course à venir à la direction du PQ sera l’occasion de liquider une fois pour toutes le fameux virage identitaire de 2007 et d’en revenir au nationalisme civique qui a été la marque distinctive du souverainisme post-référendaire, de 1995 à 2007, quand les souverainistes, pour expier la déclaration de Jacques Parizeau sur le vote ethnique, se convertirent eux-mêmes au multiculturalisme. Et de fait, entre Alexandre Cloutier, Véronique Hivon, Nicolas Marceau et Martine Ouellet, on peine à voir lequel témoignerait d’une certaine sympathie pour un nationalisme ancré dans l’histoire et dont la Charte des valeurs de 2013-2014 a représenté l’expression offensive, susceptible, d’ailleurs, de mettre en échec le multiculturalisme canadien sur le territoire québécois en révélant de quelle manière il corsette l’identité québécoise. Ces candidats sont certainement honorables et on ne devra pas les juger sur ce seul enjeu, mais à ce qu’on en sait, ils marquent leurs distances avec la question de l’identité nationale, qui n’a rien d’une question secondaire.
Il faut dire qu’ils se conforment à un environnement médiatique de plus en plus ouvertement hostile au nationalisme historique et culturel : depuis quelques temps, on a l’habitude de diaboliser le virage identitaire, en oubliant qu’avec lui, le PQ ne faisait que renouer avec sa tradition politique profonde. La petite industrie des commentateurs qui n’en finissent plus de faire la leçon au commun des mortels en multipliant les sermons inclusifs a décidé de l’associer à la xénophobie, au repli sur soi, à la fermeture à l’autre. Il suffit désormais de dire le mot «identitaire» pour que les politiciens en quête d’approbation médiatique prennent peur et s’activent à donner des gages de gentillesse aux commissaires médiatiques distributeurs de certificats de bonne conduite idéologique. Le lobby diversitaire est parvenu, à bien des égards, à piéger la question identitaire. Aujourd’hui, rares sont ceux qui s’en approchent. Ils comprennent bien qu’ils risquent alors l’ostracisme médiatique et de subir les foudres de journalistes agressifs qui dissimuleront derrière une fausse objectivité leur hostilité idéologique.
Mais il faudrait comprendre: en quoi la référence à l’identité québécoise, en particulier, et à l’identité québécoise, en général, est-elle odieuse? Pour que le souverainisme soit respectable et moderne, doit-il vraiment sacrifier la référence à la langue française et à l’histoire du peuple québécois? Doit-il vraiment se rallier à un multiculturalisme agressif qui transforme la majorité historique francophone en communauté parmi d’autres et militer pour des seuils d’immigration démesurés qui servent exclusivement les intérêts électoraux du Parti libéral? Doit-il vraiment se rallier à la doctrine des accommodements raisonnables et embrasser plus largement la philosophie de l’intégration inscrite dans la constitution de 1982? Doit-on se réjouir que Montréal se désaffilie de plus en plus du cadre québécois, comme si les régions étaient victimes d’arriération culturelle et qu’il fallait les larguer pour ne plus être handicapées par elles? Le souverainisme, pour être légitime, doit-il se penser à travers le prisme de la constitution canadienne qui avait pourtant d’abord pour fonction d’effacer de l’histoire le peuple québécois? Faut-il être plus trudeauiste que les trudeauistes d’Ottawa pour avoir le droit de poursuivre le combat national?
Ce sont d’étranges souverainistes, ceux qui entendent se conformer aux critères de respectabilité idéologique définis par le pays dont ils veulent se séparer : on pourrait dire que ce sont des souverainistes idéologiquement domestiqués par un régime qui hypnotise les élites souverainistes alors qu’elles devraient en faire le procès. On peut y voir, avec quelque cynisme, une autre preuve de l’efficacité idéologique du coup de force de 1982. À terme, le propre d’un régime politique est de transformer durablement les mentalités et de refonder l’identité collective. On pourrait dire que les Québécois sont victimes d’un régime qui a vocation de les neutraliser et de les faire passer du statut de peuple fondateur d’un Canada binational à celui de minorité ethnique parmi d’autres noyée dans la diversité canadienne. Le Canada, pour le dire d’une formule simple, est en train de nous canadianiser en menant à terme la dissolution politique et historique du peuple québécois. Peu à peu, nous intériorisons la vision que le Canada a de nous : il faut dire que les fédéralistes de Québec ont été colonisés idéologiquement par les fédéralistes d’Ottawa et qu’ils ne sont plus nationalistes de quelque manière que ce soit.  
Et pourtant, les Québécois résistent, même si leurs élites capitulent. Le système médiatique fait tout pour transformer l’épisode de la Charte des valeurs de 2013-2014 en «triste épisode»,  qui aurait souillé le Parti Québécois, et dont il devrait aujourd’hui se laver. Chaque fois qu’on en parle, on présente la chose avec un regard un peu honteux. Quelque chose de très grave se serait passé à ce moment. C’est évidemment une sottise, et en plus, une sottise mensongère. Les Québécois qui soutenaient très majoritairement la Charte des valeurs et ses différentes mesures le faisaient essentiellement parce qu’ils y voyaient une politique d’affirmation identitaire visant à endiguer l’idéologie multiculturaliste qui les transforme en communauté parmi d’autres dans leur propre pays. Ils y voyaient une manière de réaffirmer le principe fondamental qui commande les lois de l’hospitalité : à Rome, on fait comme les Romains. Leur adhésion n’était pas surprenante : elle s’inscrivait en continuité avec leur rejet de l’idéologie  des accommodements raisonnables, comme on l’a vu de 2006 à 2008.  

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