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jeudi, novembre 05, 2015

L'association des dépanneurs financée par les cigarettiers?

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Publié le 05 novembre 2015 à 05h00 | Mis à jour à 06h24
L'AQDA se décrit comme un organisme à but... (PHOTO PC)
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L'AQDA se décrit comme un organisme à but non lucratif, qui compte parmi ses 1700 membres d'importantes chaînes de dépanneurs.

Isabelle Hachey
ISABELLE HACHEY
La Presse
L'Association québécoise des dépanneurs en alimentation (AQDA), qui fait campagne depuis des mois pour convaincre le gouvernement de «sauver» les cigarettes mentholées de la prohibition, refuse catégoriquement de dévoiler la proportion de son budget provenant de l'industrie de tabac.
À partir d'aujourd'hui, un groupe de députés mettra la touche finale au projet de loi 44, qui vise notamment à interdire la vente de produits de tabac aromatisés au Québec. Depuis le printemps, ces élus sont soumis aux pressions de l'AQDA, qui soutient que l'interdiction du menthol «équivaudra à donner aux contrebandiers une exclusivité sur un plateau d'argent».
Le président de l'AQDA, Michel Gadbois, utilise depuis longtemps l'argument de la contrebande. Au début des années 90, il était impliqué dans une campagne contre la contrebande, orchestrée par l'industrie du tabac, qui avait ébranlé le gouvernement et mené à une baisse des taxes sur les cigarettes.
Sur son site web, l'AQDA se décrit comme «un organisme à but non lucratif» regroupant plus de 1700 membres, dont des fournisseurs et d'importantes chaînes de dépanneurs comme Alimentation Couche-Tard. L'AQDA soutient aussi être devenue «l'interlocuteur qualifié qui représente l'industrie québécoise auprès des médias et des gouvernements».
L'AQDA est toutefois de plus en plus considérée comme le «groupe paravent» des compagnies de tabac, qui l'utiliseraient pour faire passer leurs messages auprès du public et pour influencer les élus québécois. La tactique, bien connue des groupes antitabac à travers le monde, vise à donner un vernis de crédibilité aux arguments d'une industrie qui en possède très peu dans l'opinion publique.
Michel Gadbois n'a pas répondu à nos demandes d'entrevue. L'AQDA étant un organisme à but non lucratif, rien ne l'oblige à dévoiler ses états financiers.
Témoignant devant la Commission de la santé et des services sociaux, le 20 août, Michel Gadbois a refusé de dévoiler la proportion du budget de l'AQDA provenant des compagnies de tabac, sous prétexte qu'il ne la connaissait pas «par coeur». Le député péquiste Jean-François Lisée a fait part de son étonnement, «d'autant que, sur la question du menthol, sur la question de la contrebande, sur la question des saveurs, les positions que vous défendez sont identiques à celles des compagnies de tabac».
Michel Gadbois a rétorqué que les cigarettiers avaient des «intérêts communs» avec l'AQDA. «Essentiellement, j'ai des intérêts communs avec la SAQ, avec Loto-Québec, qui sont membres chez nous aussi», a expliqué M. Gadbois devant les parlementaires.
Vérification faite, la SAQ n'est pas membre de l'AQDA. Loto-Québec est membre et verse une cotisation de 1700$, plus taxes. «Le fait d'être membre de l'AQDA ne signifie pas un appui aux positions de l'organisme», souligne toutefois le porte-parole Danny Racine, ajoutant que «Loto-Québec souscrit et adhère aux orientations du gouvernement du Québec en matière de tabagisme».
Contrebande organisée
En 1994, Michel Gadbois était président de l'Association des détaillants en alimentation du Québec (ADA). À l'époque, le Mouvement pour l'abolition des taxes réservées aux cigarettes (MATRAC), présenté comme un mouvement spontané de petits détaillants révoltés, entretenait des liens discrets avec l'ADA et les fabricants de tabac.
«Le vaste mouvement des détaillants - qui consiste à vendre des cigarettes de contrebande pour obliger les gouvernements à baisser leurs taxes - est le fruit d'une stratégie extrêmement bien planifiée», avait révélé, à l'époque, une enquête de La Presse. Cette stratégie avait été mise au point dans les bureaux de l'ADA, en présence d'un représentant de l'industrie du tabac.
Le but de la campagne était de créer une crise politique autour de la contrebande. Dans une lettre adressée à la maison mère, British American Tobacco, un porte-parole d'Imperial Tobacco Canada s'était d'ailleurs réjoui de la couverture médiatique, «surtout sur le sort des petits détaillants dont les préoccupations jouissent d'une grande sympathie dans la population».
La campagne du MATRAC avait fonctionné à merveille, forçant le gouvernement à baisser les taxes. Or, si la contrebande avait bel et bien chuté, c'est surtout parce que les compagnies de tabac avaient elles-mêmes cessé de l'alimenter.
Pendant la crise, les cigarettiers exportaient leurs produits vers des entrepôts hors-taxes, dans l'État de New York, tout en sachant que des contrebandiers s'y approvisionnaient pour revendre les cartouches au Canada à partir d'Akwesasne.
Parmi les différentes associations représentant les propriétaires de dépanneurs de la province, seule l'AQDA a mis le paquet pour tenter de convaincre le gouvernement de ne pas interdire la vente de cigarettes mentholées.
La campagne «Sauvons le menthol» a été lancée le 25 mai, avec l'appui financier des compagnies de tabac. Michel Gadbois a fait une tournée de la province, et une brochure en couleurs de 12 pages, adressée aux élus, a été produite.
L'enjeu semble pourtant relativement minime, les cigarettes mentholées ne représentant que 5% des ventes au Québec. «On ne déchirera pas notre chemise sur la place publique parce qu'ils vont interdire le menthol», dit Florent Gravel, actuel président de l'ADA.