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À moins d’être dans un coma profond, vous avez sûrement entendu parler de Raïf Badawi, qui a été condamné à 10 ans de prison et 1000 coups de fouet en Arabie saoudite.
Son «crime»? Il animait un blogue dans lequel il prônait une libéralisation des mœurs en Arabie saoudite, ce qui équivalait, selon les autorités, à «insulter l’islam».
Woody Allen dirait que son sort pourrait être pire: en 2014, dans ce charmant pays qu’est l’Arabie saoudite, 87 personnes ont été décapitées en public.
La femme de Badawi et ses trois enfants sont à Sherbrooke. Le gouvernement canadien, qui se contente de réclamer la «clémence» pour Badawi, explique sa prudence par le fait qu’il n’est pas citoyen canadien.
C’est exact, mais je me demande si le vrai nœud de l’affaire n’est pas que le Canada vend pour 15 milliards $ de fournitures militaires au régime saoudien, principalement sous forme de véhicules blindés.
Duplicité
Non seulement le régime saoudien est-il l’un des plus répressifs et obscurantistes de la planète, mais il fait la promotion à travers le monde du wahhabisme, la forme la plus rigoriste de l’islam, celle dont se réclame le groupe terroriste État islamique.
Par contre, le régime saoudien a remporté, sur son propre territoire, une dure guerre de 10 ans contre les terroristes d’Al-Qaeda, refoulés vers le Yémen voisin. Bref, le terrorisme est un problème chez eux, mais pas chez les autres.
Remarquez, le Canada n’est pas le seul, loin de là, à nager dans la duplicité morale. Il n’est même pas le pire.
En octobre 2012, le président François Hollande, marchant sur des œufs, «invitait» très respectueusement la famille royale du Qatar à s’assurer que les activités humanitaires qu’elle finance ne soient pas détournées au profit des terroristes, à son insu évidemment.
Cela n’empêche pas un Nicolas Sarkozy, fermement décidé à redevenir président, d’être un habitué des loges VIP du PSG, le club de soccer parisien propriété de Tamin ben Hamad Al Thani, dirigeant suprême du Qatar.
Quelques mois avant les attentats de Charlie Hebdo, l’irrévérencieux magazine avait lancé sur Twitter une plaisanterie qui laisse un drôle de goût aujourd’hui: «Peur d’un attentat à Paris? Réfugiez-vous au PSG (le club de soccer parisien). C’est le seul endroit que n’attaqueront pas les djihadistes.»
Réalisme
Je ne dis pas qu’il faut couper les ponts avec ces régimes au nom des beaux principes. Ce serait irréaliste et contre-productif.
En politique, il est inévitable de devoir vivre avec des contradictions. Les États-Unis n’ont guère le choix de faire cause commune avec l’Iran en Irak, mais de s’opposer à l’Iran en Syrie. La pureté absolue vous sort du jeu et vous confine à l’impuissance.
Couper nos liens, ce serait se priver d’informations pour prévenir le terrorisme chez nous, perdre toute capacité d’influence, courir le risque de laisser toute cette région se doter d’armes nucléaires contrôlées par des fanatiques religieux, perdre des interlocuteurs en mesure de négocier la libération d’otages, sans parler du pétrole.
Le Canada, acteur secondaire, doit-il cependant pousser son élasticité morale jusqu’à vendre du matériel militaire? Non. D’autres pays s’y refusent.