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Claude-Henri Grignon, que nous les plus jeunes de la Société des Auteurs surnommions avec insolence Claude-Henri «Grognon», devient le Cervantès du Québec. Son bref roman Un homme et son péché, publié aux Éditions du Totem en 1933, finira par donner suite à autant d’adaptations que le Don Quichotte du célèbre écrivain espagnol.
Le Séraphin de Grignon a tout fait: 23 ans de radio-roman, 14 ans de téléroman, 29 ans de bandes dessinées par mon défunt ami Albert Chartier, deux longs métrages, l’un signé Paul Gury, un autre signé Charles Binamé, une pièce au Nouveau Théâtre Expérimental et, l’an prochain, à Radio-Canada encore, une série dont il est impossible de prévoir la durée.
Si je me fie à ce qu’on en dit, cette nouvelle série sera plus près du roman et mettra de côté nombre de jurons et de tics des personnages de Grignon. Plus de «sainte-misère», plus de «viande à chien» ou de «bouleau noir» et plus de «personnel z’et confidentiel»!
Le « Lion du Nord »
Grignon va sûrement se retourner dans sa tombe, car le «lion du nord», comme on le surnommait aussi, n’admettait pas que l’on touche à ses personnages ou qu’on les édulcore. Il les suivait à la piste, prêt à rugir si on tentait de les sortir du carcan de l’auteur. Yvon Trudel, Fernand Quirion ou Bruno Paradis, qui furent les principaux réalisateurs d’Un homme et son péché, pourraient en témoigner.
Même s’il a créé une multitude de personnages – 85 pour le téléroman –, M. Grignon réussissait à définir chacun avec précision, à le distinguer par un tic ou un juron, à l’affubler d’un nom ou d’un surnom étonnant. Après des années, les téléspectateurs se souviennent encore de personnages secondaires comme Basile Fourchu, Rosa-Rose, du notaire Lepotiron ou de Jos Malterre.
Maître après Dieu
Pour M. Grignon, l’auteur était maître après Dieu. Il n’accepterait jamais tous les intermédiaires qui fourrent aujourd’hui leur nez dans une œuvre. Au moment de la grève des réalisateurs, en 1958, Grignon, sa cousine Germaine Guèvremont, Paul L’Anglais, Jean Desprez et Pierre Dagenais refusèrent tout net de les appuyer. Convaincus, s’ils sortaient vainqueurs de la grève, que les réalisateurs s’imposeraient d’autorité auprès des auteurs, ils quittèrent bruyamment l’assemblée, certains lançant même leur chaise sur Jean-Louis Roux, qui présidait.
Les pratiques d’écriture et de production ont changé et celles qui prévalaient hier ne reviendront pas. Reste qu’on peut se demander si le phénomène que constitue Un homme et son péché pourrait se reproduire aujourd’hui. Comme on peut se le demander aussi pour la merveilleuse trilogie marseillaise (César, Marius et Fanny) de Marcel Pagnol. Pagnol n’était pas moins jaloux de ses personnages et de ses prérogatives d’auteur.
En attendant de voir cette ixième adaptation d’Un homme et son péché, je fais confiance à Gilles Desjardins, un auteur qui n’est pas connu à la hauteur de son talent. Cette prochaine série sera-t-elle un succès? Difficile de douter du nez de François Rozon, qui a convaincu Radio-Canada de la pertinence d’une nouvelle version. L’adaptation d’Intouchables, qu’il a coproduite avec le Théâtre du Rideau vert et qui fait un malheur de tous les diables, atteste son flair.
Télépensée du jour
N’étant plus sénatrice, Andrée Champagne fait savoir qu’elle terminerait bien sa carrière en jouant la mère de Donalda dans la prochaine série Un homme et son péché.