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La scène se passe chaque jour dans une école primaire, à Montréal ou dans les environs. Une enseignante propose une activité à ses élèves: chacun devra venir à l’avant parler de son pays d’origine.
Le petit cambodgien parlera du Cambodge. Le petit haïtien d’Haïti. Et ainsi de suite. Et puisque nous sommes dans une classe multiethnique, bien des pays y passeront. Il n’y aura qu’un oublié dans la bande: le petit Québécois «de souche».
Sur le grand tableau à l’entrée, tous les drapeaux du monde y seront. Souvent, le sien sera absent. Son pays n’en est pas un. Le seul fleurdelisé qu’on verra à l’école flottera sur un mat à l’entrée. Il a une chance sur deux d’être déchiré. Voudrait-il parler de son pays? Il ne saura pas trop comment. On lui chantera pendant des années l’ouverture sur le monde, sans jamais prendre la peine de l’intéresser un peu au sien. Au Québec, toutes les origines sont bonnes sauf la nôtre.
L’ignorance de soi
Quelques années plus tard, dans un échange international, il connaîtra une situation humiliante. Ceux qui l’accueilleront entonneront une chanson traditionnelle de leur pays. Et ils lui demanderont ensuite d’en chanter une du sien. Il n’en connaîtra pas. On ne lui en a pas appris. Peut-être se rabattra-t-il en désespoir de cause sur Dégénérations de Mes aïeux. Il sauvera la face. Mais au fond de lui-même, peut-être ressentira-t-il un vide? C’est une histoire vraie.
Les Québécois sont étranges. Ils se veulent tellement ouverts sur la planète entière qu’ils ont oublié de s’intéresser un peu à eux-mêmes. Leur passé? Ils n’y voient qu’un bagage gênant de chansons à répondre et de curés pédophiles. Leur langue? Ils ont bien compris qu’elle n’était pas vraiment utile et que s’ils voulaient avoir du succès, ils devraient au plus vite apprendre l’anglais. Leur identité, ils la cachent.
Peut-être parce qu’ils en ont honte.
Le problème est plus profond. Sous prétexte d’ouverture, on invite les enfants à se lover dans leurs origines. On leur dit qu’il n’y a rien de plus important qu’elles. Et qu’ils doivent les conserver à tout prix. On chante la diversité, alors que dans les faits, on fabrique une société éclatée, fragmentée, où fleuriront des millions d’identités individuelles, mais où on peinera à reconnaître une identité collective.
La culture québécoise
Dans un monde normal, il faudrait plutôt transmettre aux jeunes enfants l’histoire du Québec, et la culture québécoise. Plutôt que de demander à chaque gamin de parler du patelin de ses parents, il faudrait l’inviter à parler d’un héros québécois, d’un grand événement historique québécois, ou d’un artiste québécois. Autrement dit, il devrait moins se replier sur sa culture d’origine qu’embrasser son nouveau pays.
C’est justement parce que les origines sont diverses qu’il faudrait transmettre la culture commune. Ainsi, les jeunes enfants d’immigrés développeraient pleinement un sentiment d’appartenance à leur nouveau peuple. Mais nous retombons dans le problème initial. Imaginons qu’on généralise un tel exercice pédagogique: saurions-nous tout simplement quoi transmettre? Saurions-nous quel héros célébrer, quel événement commémorer, quelle chanson chanter?
Et de toute façon, au bout de quelques minutes, un Inclusif-Vertueux-Ouvert-Sur-le-Monde nous accuserait d’ethnocentrisme. Comme si nous étions de trop chez nous.