Robert Lafrenière, commissaire de l'Unité permanente anticorruption Photo : La Presse canadienne/Jacques Boissinot
Pendant cinq heures, le grand patron de l'Unité permanente anticorruption (UPAC), Robert Lafrenière, s'est prêté à l'exercice des questions-réponses avec les députés de l'Assemblée nationale. Les sujets étaient nombreux : intégrité et crédibilité de l'escouade, indépendance dans son travail et fuites dans les enquêtes. M. Lafrenière a été éloquent, voire convaincant, mais il reste des zones d'ombre.
Une analyse de Sébastien Bovet
Robert Lafrenière est rompu à l’exercice. Des commissions parlementaires, il en a vu. Des questions pièges de députés qui veulent marquer des points politiques, il en a vu. Jeudi, il avait réponse à tout. Il a même mis de la « couleur » dans ses réponses.
Au sujet de l'enquête sur le financement du Parti libéral du Québec, le projet Mâchurer : « Soyez certain que je vais me rendre au bout de cette enquête-là, je vais me rendre à la terminaison, aux conclusions et on va déposer au DPCP (Directeur des poursuites criminelles et pénales), j'en suis convaincu. »
Concernant la fuite (venant vraisemblablement de l’UPAC) qui a révélé des informations confidentielles de l’enquête qui touche l’ancien premier ministre, Jean Charest, et l’ancien collecteur de fonds du PLQ, Marc Bibeau : « Je souhaite ardemment qu'on arrive à une conclusion et qu'on trouve le bandit qui aurait fait ça. »
Relativement à l’idée répandue que les politiciens du Parti libéral jouissent d’une immunité dans les enquêtes policières : « Quand il est question d’un élu, quant à moi, c’est un facteur aggravant. »
Au sujet de l’idée, aussi répandue, que l’UPAC fait parfois de la politique, par exemple en arrêtant l’ancienne vice-première ministre, Nathalie Normandeau, le jour du dépôt d’un budget : « Moi l'agenda politique, j'en ai rien à cirer! »
Convaincant. Éloquent. Percutant. Rassurant. Robert Lafrenière mérite un A.
Et puis, on dort sur le témoignage et on se dit qu’on n’est pas allés au fond des choses sur les fuites (nombreuses depuis 6 ans). Il reste une zone d’ombre.
Oui, M. Lafrenière nous a dit qu’il était outré. Oui, il nous a dit que les enquêteurs les plus proches du dossier ont proposé de passer le test du détecteur de mensonges. Oui, la fuite de documents confidentiels est un acte criminel et celui qui l’a faite est un bandit!
Mais pourquoi? Pourquoi des gens de l’UPAC « coulent » des documents? Quelles sont leurs motivations? Estiment-ils qu'on leur met des bâtons dans les roues ou c’est simplement qu’ils savent que la preuve est insuffisante pour porter des accusations? Dans ce cas, font-ils de la politique? Sam Hamad a été rétrogradé après la publication de courriels. D’autres échanges de courriels ont placé le chef de cabinet de Philippe Couillard, Jean-Louis Dufresne, sur la sellette.
Pourquoi ces fuites? On ne sait pas. Et on se dit qu’on ne saura pas non plus. Et tant qu’on ne saura pas, on aura un doute sur ce qui se passe dans l’escouade.
Il faudra des arrestations et surtout des condamnations pour commencer à dissiper ce doute.
PUBLIÉ LE JEUDI 4 MAI 2017 | Mis à jour le vendredi 5 mai 2017 à 18 h 56
L'enquête Mâchurer, qui porte notamment sur le financement politique et l'octroi de contrats publics, a été longuement retardée par des requêtes judiciaires qui ont empêché l'exploitation de documents-clés, a révélé jeudi le commissaire de l'Unité permanente anticorruption (UPAC). Mais depuis février, cet obstacle a été levé.
Lors d'un long témoignage devant la commission de la sécurité publique de l'Assemblée nationale, Robert Lafrenière a précisé que l'enquête, lancée en 2013, a été bloquée par une requête judiciaire de type Lavallée menée par des avocats de la défense.
Des documents de la Cour suprême révèlent plutôt que ces procédures ont été initialement entamées par le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP). Mais les avocats de trois entreprises de la famille de l'ex-argentier libéral Marc Bibeau – Saramac, Shokbeton Inc. et les Centres d'achats Beauward – ont contesté jusqu'en Cour suprême les modalités d'accès à certains documents saisis par des policiers.
Cette saga judiciaire a longuement empêché l'exploitation de renseignements obtenus lors d'une perquisition effectuée au début de l'enquête.
Les avocats des sociétés impliquées affirment avoir tout fait pour écourter le débat et faire progresser le dossier.
Ils jettent ainsi un nouvel éclairage sur le témoignage du commissaire de l'UPAC à l’Assemblée nationale, jeudi.
Marc Bibeau Photo : Radio-Canada
Selon Robert Lafrenière, « la Cour supérieure nous a donné raison sur la façon dont les données devaient être extirpées pour les donner à la défense et à la Couronne, avec un ami de la cour. Les défenseurs ont contesté, sont allés en Cour suprême, et la Cour suprême a refusé d’entendre ça. » La décision a été rendue en février dernier.
Il y a quelques semaines, on a commencé à mettre en place un processus avec un ami de la cour pour aller dans cette banque de données […] qui va nous apporter du plus pour bien ficeler l’enquête Mâchurer.
L'UPAC doit être prête à combattre de telles manoeuvres, a affirmé le commissaire Lafrenière, citant, pour illustrer la situation, un avocat de la défense « très réputé » qui a admis que les requêtes constituaient un moyen efficace pour lutter contre des opérations de l'UPAC.
« Faut pas se rendre au jour 1 du procès, parce qu’on est fait, aurait dit cet avocat. Donc, c’est ou plaidoyer de culpabilité, ou requêtes, requêtes, requêtes pour étirer, pour que les témoins soient un peu mêlés dans leur témoignage avec le temps, et c’est ce qu’il faut combattre », a relaté M. Lafrenière.
Lafrenière « outré » par les fuites
Le commissaire Lafrenière a par ailleurs assuré que Mâchurer n'a pas été compromis par les informations sur l'enquête distillées la semaine dernière par le bureau d'enquête de Québecor.
Ce dernier a notamment révélé que Marc Bibeau et l’ex-premier ministre québécois Jean Charest auraient été sous la loupe des responsables de l'enquête jusqu'à récemment dans le cadre de l'enquête sur le financement politique et l'octroi de contrats publics.
« En aucun temps, la conclusion de cette enquête n'a été menacée par cette fuite-là », a cependant assuré M. Lafrenière. « Si la personne qui a fait ça pensait nous déstabiliser, elle ne nous a que distraits. Soyez certains que je vais me rendre au bout de cette enquête […] et on va le déposer au DPCP, j’en suis convaincu », a affirmé Robert Lafrenière.
M. Lafrenière dit par ailleurs avoir été « outré » par ces fuites « inadmissibles » provenant « selon toute vraisemblance » de documents détenus par son organisation. Il n'a pu dire si la fuite était attribuable à un membre de l'UPAC ou à un pirate informatique, mais il a indiqué qu'il s'agissait là d'une infraction criminelle d'entrave à la justice.
Une enquête interne à ce sujet est en cours, a-t-il rappelé, et différentes mesures ont été immédiatement prises. Les échanges d'informations entre différents groupes d'enquêteurs nécessitent maintenant l'accord de gestionnaires, ce qui constitue un « petit handicap ».
C’est un geste d’une déloyauté totale. [...] Je souhaite ardemment qu’on arrive à la conclusion et qu’on trouve le bandit qui aurait fait ça.
Le commissaire de l’UPAC dit être conscient que des gens s’interrogent sur le temps qui s’écoule entre des perquisitions médiatisées et le dépôt d’accusations, mais assure qu'il ne faut pas y voir la preuve d'un quelconque complot.
« Souvent, on s’est fait dire : "il y a eu une perquisition en telle année, et il ne s’est rien passé" », a-t-il convenu. « Quand on reçoit un signalement et qu’on pense qu’on peut perdre la preuve, rapidement, si on obtient des mandats de perquisition, on agit. On va chercher la preuve, on la cristallise et puis on remet la suite du dossier à plus tard. C’est pour ça que, des fois, ça nous a fait mal paraître. »
Il n'est donc pas question d'accélérer le travail des enquêteurs pour répondre aux pressions. « Moi, la vitesse, j’embarque pas là-dedans. Je ne tourne pas les coins ronds. Je me rends à la cible avec le temps que ça va prendre. Et on va arrêter de mettre de la pression sur les enquêteurs pour que ça aille plus vite », a lancé M. Lafrenière.
Ni immunité ni blocage de dossiers, dit Lafrenière
Le patron de l'UPAC a par ailleurs démenti le fait que les élus bénéficient d’un traitement spécial auprès de son corps de police. « Il n’y en a pas d’immunité pour personne », a-t-il assuré. Il soutient même que l’UPAC considère comme un « facteur aggravant » le fait qu’une personne visée par des allégations soit un élu, municipal ou provincial. « Il faut tout de suite s’en occuper. »
Il n’y a aucun blocage. Ce qui amène cette perception, […] c’est la longueur de nos dossiers. Et ça va toujours être des dossiers longs. Il y en a un, entre autres, qui est rendu à neuf ans. Mais on va arriver à des conclusions. Et j’ai bien l’impression qu’on va mettre des bracelets à ces gens.
Ce dernier a déclaré la semaine dernière au 98,5 FM que deux élus libéraux - dont un siégerait toujours à l'Assemblée nationale - avaient échappé à des accusations au terme d'une enquête portant sur des modifications législatives apportées en échange de dons au parti, qui impliquait en outre un promoteur immobilier « relié à la mafia italienne ».
« Je dois dire qu’on a fait des recherches aussitôt qu’on a entendu ça le matin […] parce que, ce que M. Francoeur décrivait, ça ressemblait pas mal à notre business. Et on a reculé avec la Sûreté du Québec dans les années - de l’écoute électronique d’élus, on s’entend-tu qu’on s’en souviendrait – et on n’a rien trouvé », a-t-il déclaré.
Moi, l'agenda politique, je n'en ai rien à cirer!
M. Francoeur a rencontré les enquêteurs de la Sûreté du Québec jeudi pour discuter de l'affaire.
Des lanceurs d'alerte à l'affût
Le patron de l'UPAC a par ailleurs témoigné sous le regard intéressé de deux témoins vedettes de la commission Charbonneau, soit l'ex-entrepreneur Lino Zambito et l'ex-syndicaliste Ken Pereira, de même que devant l'ex-patron de l'agence de sécurité BCIA Luigi Coretti.
Peu avant le début de l’étude des crédits, M. Zambito, qui avait fait de nombreuses allégations devant cette commission sur la collusion à Montréal et le financement du PLQ, a fortement critiqué le patron de l’UPAC, en qui il n’a plus confiance.
« Les dossiers des enquêteurs de l’UPAC sont très bien faits, ils sont bien étoffés, a-t-il insisté. Le problème que moi je vois, c’est que quand les dossiers sont terminés et vient le temps que la haute direction les envoie au DPCP, on s’accroche les pieds. »
« Moi, je m’en viens écouter M. Lafrenière; il y a des dossiers [dans lesquels] je suis impliqué. Il y a des déclarations que j’ai faites à l’UPAC dans le dossier de [l’ex-ministre libérale Nathalie] Normandeau, et on voit que, dans certains dossiers, plus on s’approche du pouvoir politique, [plus] on fait du surplace », a-t-il insisté.
Le syndicaliste Ken Peirera, qui avait pour sa part alimenté la commission Charbonneau en révélant les dessous du milieu syndical de la construction, a tenu un discours similaire.
Je fais confiance à l’UPAC. Mais il faut se demander pourquoi on est rendus à une couple d’années et qu’il n'y a rien qui a sorti. J’ai confiance aux inspecteurs, j’ai donné beaucoup d’information, mais elle est rendue où, cette information-là?
M. Peirera soutient avoir encore des contacts « assez régulièrement » avec des enquêteurs de l’UPAC, mais il doute de la progression des enquêtes.
Il reproche également aux policiers d’avoir lancé « une chasse aux sources journalistiques » sous prétexte qu’elles nuisent aux enquêtes policières.
PUBLIÉ AUJOURD'HUI À 10 H 36 | Mis à jour à 14 h 24
Violette Trépanier, auprès du gouvernement Charest
Le gouvernement Couillard essuie un nouveau tir croisé des partis de l'opposition sur le front de l'intégrité, après de nouvelles révélations du bureau d'enquête de Québecor concernant l'influence qu'aurait eue l'ex-responsable du financement du Parti libéral du Québec, Violette Trépanier, auprès du gouvernement Charest.
Un texte de François Messier
Une série de courriels de 2007-2008 publiés mercredi par le Journal de Montréal soulèvent de sérieuses questions sur des portions du témoignage que Mme Trépanier a livré à la commission Charbonneau en juin 2014, notamment quant à son influence sur des nominations effectuées par le gouvernement Charest.
Les courriels montrent par exemple qu’elle aurait vérifié, plus souvent qu’elle ne l’a affirmé sous serment, l’allégeance politique et les dons politiques effectués par des personnes susceptibles d’être nommées à des conseils d’administration de sociétés d’État, et qu’elle serait intervenue dans des dossiers politiques.
Le PQ s'attend à une enquête pour parjure; la CAQ veut des vérifications
Les partis d’opposition ont sauté à pieds joints dans cette nouvelle controverse. Le chef du Parti québécois, Jean-François Lisée, a dit s’attendre à ce que Mme Trépanier fasse l’objet d’une enquête pour parjure, tandis que le leader parlementaire de la Coalition avenir Québec, Éric Caire, a sommé le premier ministre Philippe Couillard de faire des vérifications.
« Si les policiers n'étaient pas au courant de la contradiction entre ses courriels et son témoignage, bien, maintenant, ils le sont », a commenté M. Lisée. « Alors, moi, je m'attends à ce qu'il y ait une réaction des forces policières pour dire : "Bon, bien, est-ce qu'on ouvre une enquête pour parjure?" »
Quand on a vu le tableau qui lie Violette Trépanier, Jean Charest, Marc Bibeau avec des nominations et des contrats, on voit qu'on est au centre de la tentative de l'UPAC de démontrer l'existence d'un système de trafic d'influence, de contrats de nominations contre du financement. Jean-François Lisée
Le chef péquiste croit que ces informations coulent possiblement dans les médias parce que des enquêtes de l’UPAC n’aboutissent pas.
« On veut tous tourner la page, mais notre difficulté à tourner la page, c'est qu'on n'arrive pas en bas de la page. On n'arrive pas au fond de l'affaire puis on n'arrive pas à tenir pour responsable, dans notre système de justice, ceux qui ont inventé ce système et ceux qui ont profité de ce système », a-t-il commenté.
« Ce que ça indique, surtout, c'est un système libéral de nomination partisane, un système rigoureux, un système strict, un système qui a bien été respecté, c'est-à-dire qu'il y a un don, un post-it, une job », a commenté le caquiste Éric Caire peu après. « On ne déroge pas de ce planning-là de la part du Parti libéral. »
Si Philippe Couillard est sérieux, si vraiment il veut rompre avec l'ère Charest, il doit faire les vérifications nécessaires pour savoir qui, dans l'appareil public, a obtenu son poste en raison de son allégeance ou de donations au Parti libéral du Québec. Alors, soit il condamne, soit il cautionne, mais il ne peut pas rester assis sur la clôture. Éric Caire
Le PQ faisait la même chose, rétorquent les libéraux
Le premier ministre n'a pas donné suite à cette requête de la CAQ. Lorsque le chef du parti, François Legault, lui a demandé s'il trouvait cette situation normale lors de la période de questions, il s'est appliqué à rappeler que Ginette Boivin, ex-responsable du financement au Parti québécois, a aussi admis devant la commission Charbonneau qu'elle avait appelé des cabinets pour obtenir des renseignements sur des projets.
« Ça montre quoi? Ça montre que dans tous les partis politiques - presque tous, je ne mettrai pas Québec solidaire dans cette catégorie - il y a certainement eu une hypertrophie du rôle des responsables de financement politique », a fait valoir Philippe Couillard. Depuis cette époque, « on s’est tous libérés de l’ancien système de financement politique », a-t-il ajouté.
Répondant à des questions sur le même sujet du leader parlementaire du PQ, Pascal Bérubé, le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, avait aussi systématiquement évoqué le témoignage de Mme Boivin. « On se réfère à des évènements de 2008; on est en 2017 », a-t-il affirmé. « Ils sont dans les vieilles nouvelles que tout le monde connaissait déjà. »
Le président du Conseil du Trésor, Pierre Moreau, avait précédemment invité les journalistes à être « extrêmement prudents » et à ne pas « tirer des conclusions de renseignements qui sont essentiellement parcellaires ». Les enquêtes policières sont du ressort de la police, a-t-il rappelé.
Après la période de questions, François Legault a tenu un point de presse pour fustiger l'inaction du premier ministre, « qui refuse de rompre avec le passé, qui refuse de prendre ses responsabilités ». Selon lui, Philippe Couillard « préfère son rôle de chef du Parti libéral à celui de premier ministre du Québec. »
C’est, d’un côté, collecter de l’argent et, en échange, avoir une nomination ou un contrat. C’est très grave. Philippe Couillard a l’air de trouver ça normal. François Legault
Une poursuite est possible, mais loin d'être automatique, selon une experte
En entrevue à Midi Info, la professeure de droit de l'Université de Montréal Martine Valois, a estimé que les nouvelles informations concernant Violette Trépanier ont une « certaine pertinence », dans la mesure où elles révèlent qu’elle a peut-être donné des informations incomplètes, voire fausses, à la commission Charbonneau.
Mme Valois, qui est aussi membre du Comité public de suivi des recommandations de la commission, estime que Mme Trépanier « peut être poursuivie pour parjure […] pour avoir tenté volontairement de tromper la commission », si une enquête devait révéler non seulement des informations contradictoires, mais aussi une « intention de tromper ».
Cette preuve doit cependant être établie hors de tout doute raisonnable, rappelle-t-elle, et les seules informations publiées mercredi ne peuvent permettre de tirer cette conclusion. Constater qu’elle aurait reçu 16 curriculum vitae de candidats à des postes plutôt que 5 ou 6 comme elle l’a dit en témoignant sous serment ne serait probablement pas suffisant pour entraîner des accusations de parjure, croit Mme Valois.