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samedi, mai 06, 2017

LIBRE OPINION L’école du mensonge

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2 mai 2017 | Réjean Bergeron - Professeur de philosophie au cégep Gérald-Godin
Dans un monde qui carbure aux résultats plutôt qu’à la réussite, on se préoccupe davantage d’augmenter son taux de diplômation, défend l'auteur.
Photo: iStock

Dans un monde qui carbure aux résultats plutôt qu’à la réussite, on se préoccupe davantage d’augmenter son taux de diplômation, défend l'auteur.
La belle affaire ! Les médias et une partie de la classe politique, y compris le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, viennent de découvrir que certains acteurs du milieu de l’éducation tripotent les notes des élèves, qu’un 58 %, par exemple, peut miraculeusement se transformer en 60 %, et ce, parfois même à l’insu des enseignants concernés. Face à cette « nouvelle » qui, en fait, était connue de tout le réseau de l’enseignement, voilà que certains envisagent même de mettre sur pied une commission parlementaire pour faire la lumière sur ce terrible « scandale » qui a plutôt les allures d’un triste secret de Polichinelle.
 
Mais de quoi parle-t-on ici ? De chiffres, de statistiques et de moyennes. Et si l’arbre de la note de passage nous cachait la forêt de la réelle réussite ? Car, en fait, la question n’est pas tant de savoir si un élève qui a 58 % mérite la note de passage, mais plutôt de s’interroger sur la réelle valeur du diplôme que le système d’éducation serait prêt à lui accorder. Dans un monde qui carbure aux résultats plutôt qu’à la réussite, qui se préoccupe davantage d’augmenter son taux de diplomation, quitte à manipuler là aussi les données, il serait beaucoup plus sage de s’interroger sur la valeur et la qualité de notre système d’éducation et de ce qui est enseigné aux élèves.
 
Moi qui enseigne au niveau collégial depuis des années, qui ai vu passer des générations d’étudiants, je peux témoigner du fait que notre société se complaît dans un mensonge collectif : nous mentons à une bonne partie des élèves du primaire et du secondaire en leur faisant croire qu’ils seront bien préparés pour réussir leurs études supérieures et leur vie d’adulte. Nous mentons bien évidemment à leurs parents pour les mêmes raisons et, en plus, nous nous mentons à nous-mêmes en nous gargarisant de ces formules creuses qui affirment que « l’éducation est importante pour nous » ou que « nous vivons dans une société du savoir ».
 
Choc et humiliation
 
Ces élèves à qui on a menti pendant toutes ces années, à qui on a dit qu’ils étaient bons, fantastiques et en mesure de réaliser leurs rêves, pouvez-vous imaginer le choc et l’humiliation qu’ils subissent lorsque, arrivés au cégep ou à l’université, ils se rendent compte, ou se font dire par certains professeurs qui décident de ne plus leur dorer la pilule, qu’ils ont de graves problèmes de lecture et d’écriture, qu’ils manquent de vocabulaire, de repères historiques, de culture ou de méthode de travail ; en somme, qu’ils n’ont pas ce qu’il faut, loin de là, pour réussir des études supérieures !
 
J’ai parfois l’impression que le travail de l’enseignant de niveau collégial se compare à celui du médecin qui a la pénible tâche d’annoncer à certains de ses patients qu’ils sont atteints, à leur grande surprise, d’une grave maladie, sauf qu’ici cette « maladie » prend la forme d’une impuissance linguistique et d’une déculturation chez les élèves qui en sont atteints.
 
Ce sont ces mensonges qui se transmettent d’une année à l’autre, d’un niveau à l’autre à l’intérieur de notre système d’enseignement qui finissent par créer, à force de s’accumuler, une fracture dans nos salles de cours où, d’une part, se retrouvent des étudiants qui ont été très bien ou correctement formés et, de l’autre, tous ceux qui ont été dupés, trompés, à qui on a fait croire qu’ils étaient bien outillés pour affronter la vie et entreprendre des études collégiales.
 
Parfois, je me dis que tous ces jeunes qui ont ainsi été leurrés et trompés par cette machine à mensonges que représente notre système d’éducation devraient intenter un recours collectif contre le gouvernement pour négligence criminelle.
 
À la suite de toutes ces manchettes dans l’actualité au sujet de la manipulation des notes, le journaliste Sébastien Bovet de RDI a interviewé le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx. À la toute fin de l’entrevue, le journaliste lui a demandé s’il favorisait plutôt le développement des connaissances ou bien celui des compétences chez les élèves. Le ministre a alors répondu que c’était « correct » de favoriser le développement des compétences puisque « 50 % des emplois que nos enfants occuperont ne sont pas connus », reprenant ainsi à son compte ce fameux mythe pédagogique sans aucun fondement, éculé et franchement ridicule pour qui y réfléchit deux minutes.
 
Ainsi, on aura beau faire des réformettes, implanter des cours bidon pour épater la galerie ou mettre sur pied des commissions parlementaires pour se pencher sur les problèmes qui minent notre système d’éducation, tant et aussi longtemps que le ministre et ses fonctionnaires continueront de s’abreuver jusqu’à plus soif de légendes pédagogiques de ce type pour se donner bonne conscience, ce sont ces jeunes qui souvent viennent des milieux moins favorisés et qui n’ont pas eu la chance de fréquenter des écoles privées ou à projet particulier qui continueront à subir les contrecoups de nos turpitudes collectives.

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