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PUBLIÉ AUJOURD'HUI À 5 H 47
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Un Cubain prend la pose devant une statue de l'ex-dirigeant Fidel Castro entourée de fleurs à Lima, au Pérou. Photo : Reuters / Mariana Bazo |
Un des problèmes des régimes à poigne centralisés, comme le gouvernement cubain, c'est celui de la transition. En particulier dans ce cas où la « légitimité historique » du régime s'est incarnée si longtemps dans un seul homme.
Une analyse de François Brousseau
Un homme si puissant que, de son vivant – en tout cas pendant les 47 premières années de son règne, de 1959 à 2006 – il a écrasé toute rivalité interne. Sous Fidel Castro, toute discussion sur le pouvoir était exclue, et tout ce qui peut venir après lui pâlit en comparaison.
« Communisme familial »
Dans le cas cubain, on trouve des éléments de « dynastie familiale » sans aller jusqu’au point extrême des Kim en Corée du Nord, l’un des cinq États encore officiellement communistes dans le monde, avec la Chine, Cuba, le Vietnam et le Laos.
Exemple flagrant et le plus connu de cela : en 2006, il y a eu passage « latéral » de témoin au demi-frère Raul, à la suite d’une maladie qui, cet été-là, avait failli emporter Fidel. Pouvoir « communiste familial », donc, fondé sur la légitimité des « anciens » et éventuellement de leur fratrie et de leur descendance.
Du côté de Raul comme du côté de Fidel, il y a toute une famille, toute une descendance, du reste assez compliquée. Fidel a eu des enfants, pas tous reconnus, avec un grand nombre de femmes. Une sœur de Fidel vit en exil et a de tout temps dénoncé le régime de son frère. Certains enfants des deux Castro, membres de la nomenklatura cubaine (la liste des privilégiés en régime communiste), pourraient apparaître dans l’équation d’un pouvoir post-Fidel.
Un fils de Fidel, Fidel Angel Castro Diaz-Balart dit « Fidelito », est physicien, ressemble beaucoup à son père physiquement et aurait des ambitions politiques même s’il n’est pas très en vue actuellement.
Fille de Raul, Mariela Castro Espin est une militante connue des droits des LGBT. À ses débuts, le régime Castro a été violent à l’égard des homosexuels. Mais sur cette question, et de façon exceptionnelle, il y a eu adoucissement et, pourrait-on dire, un rare exemple de débat public et de pluralisme à Cuba, du fait de l’action déterminée d’une personne issue des cercles du pouvoir.
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Un pouvoir gérontocratique
Autrement, le pouvoir à Cuba est resté, et de façon très marquée jusqu’en 2006 (un peu moins depuis), la dictature d’un seul homme, entouré de vieux fidèles, serrant tous les rangs autour du Lider maximo.
De façon extrêmement caractéristique, ce pouvoir devenu gérontocratique a éliminé, les unes après les autres, les (relativement) jeunes personnalités qui, dans les années 1990 et 2000, à l’intérieur même du régime et du Parti communiste, émergeaient et devenaient le moindrement populaires ou connues. Repérées par les spécialistes internationaux de Cuba et par la presse étrangère, elles étaient identifiées « réformistes », ce qui sonnait aussitôt leur arrêt de mort politique.
C’est ainsi qu’on a vu des noms comme ceux des « jeunes loups » Roberto Robaina (ministre des Affaires étrangères de 1993 à 1999), Felipe Perez Roque (successeur du précédent, de 1999 à 2009), Carlos Lage (vice-président dans les années 1990), et d’autres monter puis disparaître subitement sous l’œil d’un Fidel omnipotent, qui veillait au grain et écrivait à leur sujet :
Le miel du pouvoir, pour lequel ils n’avaient fait aucun sacrifice, a déclenché chez eux des ambitions qui les conduisirent à jouer un rôle indigne. L’ennemi extérieur fondait sur eux de grands espoirs. Fidel Castro
La rigidité et la paranoïa de l’idéologie castriste se retrouvent magnifiquement résumées dans cette citation. Le pouvoir revient forcément à ceux qui ont fait la révolution, même 30, 40, 50 ans plus tard, et tout réformisme est forcément suspect, surtout lorsqu’il commence à plaire à « l’ennemi extérieur ».
Les choses ont un peu changé au cours de la décennie de Raul au pouvoir, même si l’ombre tutélaire du grand frère est restée jusqu’à son dernier souffle vendredi, omniprésente du simple fait que le chef historique – même délesté de ses fonctions officielles – restait toujours en vie, conscient… et à deux pas de la place de la Révolution.
Jusqu’à ces tout derniers mois, Fidel intervenait directement dans la Granma (la Pravdacubaine) et même, en avril 2016, dans un discours d’adieu au VIIe Congrès du Parti communiste. Avec, toujours, ce message fondamental : « Attention au changement! Méfiance! », qu’il s’agisse de la réforme économique ou de l’ouverture diplomatique aux États-Unis.
Le rôle de l’armée
Raul Castro n’a ni le poids historique ni le pouvoir ultra concentré de son frère aujourd’hui défunt. Il a redistribué les cartes dans la nomenklatura. Les trois quarts des ministères ont changé de mains depuis 10 ans.
C’est clairement l’armée qui, aujourd’hui, détient les postes-clés à Cuba dans l’économie et dans la politique, et pourrait jouer demain un rôle crucial de stabilisation ou de répression, le cas échéant, si la transition post-Fidel s’avérait trop cahoteuse.
Pour la succession de Raul lui-même, qui a 85 ans et a annoncé son départ en 2018, la valse des noms a commencé : « Fidelito » (le fils de Fidel), Alejandro Castro Espin (fils de Raul, colonel de l’armée) ou encore Miguel Diaz-Canel, actuel vice-président et successeur désigné, qui ne flirte pas (en tout cas, pas ouvertement) avec le réformisme.
Au moins deux autres facteurs, extérieurs au cercle fermé du pouvoir à La Havane, pourraient s’avérer déterminants :
- Le rôle de la société civile, d’une opposition démocratique étouffée, interdite tout au long du demi-siècle de dictature castriste. Cette opposition émergera-t-elle? La peur du lendemain et le sentiment résigné qu’il n’y a pas d'alternative au parti unique vont-ils voler en éclat et laisser la place à des mouvements autonomes et revendicatifs?
- Le rôle des États-Unis sous la présidence de Donald Trump. Le nouveau président tentera-t-il de renverser l’histoire, de céder aux lobbies qui lui demandent de rétablir une ligne dure, après 54 ans d’un embargo qui a échoué? Ou au contraire, fidèle à ses instincts, l’homme d’affaires va-t-il laisser le champ libre aux capitalistes et investisseurs qui rêvent d’un autre type d’invasion à Cuba?
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