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samedi, novembre 21, 2015

Pourquoi rejoignent-ils le djihad?

http://quebec.huffingtonpost.ca/

Publication: 

La plupart des auteurs des récents attentats commis en France sont nés ou ont grandi dans la société qu'ils attaquent. Existe-t-il un profil type chez ceux qui rejoignent le djihad? Comment se radicalisent-ils? Comment peut-on prévenir et détecter l'extrémisme violent? Des chercheurs offrent des pistes de compréhension.
Un texte de Mathieu Gobeil
« La radicalisation commence d'abord par une quête de sens qui n'est pas réalisée », explique Jocelyn Bélanger, psychologue et professeur à l'UQAM, qui vient de publier avec ses collègues une Trousse de renseignements sur l'extrémisme violent destinée au grand public.
« C'est un processus motivationnel, relationnel, qui peut être déclenché par une perte de sens personnelle », poursuit-il. Par exemple, une perte psychologique, une humiliation - comme celle subie lors d'une occupation étrangère -, une injustice, un rejet social, une oppression peuvent entraîner une grande douleur psychologique, que la personne cherche à atténuer.
« Des études ont montré que lorsque des gens se font rejeter socialement, les régions du cerveau qui s'activent sont les mêmes que celles associées à la douleur physique. Quand on se fait ostraciser, stigmatiser, humilier de façon récurrente, il y a une douleur. Et cette douleur, il faut trouver un moyen de l'atténuer, et ça passe souvent par les groupes, notamment ceux qui épousent la violence. »
— Jocelyn Bélanger, professeur au Département de psychologie de l'UQAM
La démarche peut aussi être motivée, conjointement ou non, par un gain de sens potentiel, comme le discours d'un leader charismatique, le sentiment d'être respecté au sein d'un groupe, l'honneur associé à un acte héroïque, l'aventure, l'occasion de laisser sa trace, etc.
Trouver un sens
Dans les deux cas, la personne en quête de sens se tournera vers des moyens d'assouvir cette motivation.
« Une fois que la quête de sens est activée, la personne se joint à un réseau social, qui peut être formé de pairs, de membres de la famille, d'amis ou de collègues. C'est un environnement qui peut lui donner un prestige, la puissance du nombre, etc. » Le groupe peut se substituer progressivement à la famille.
Dans plusieurs cas, les individus vont adopter l'idéologie du groupe pour combler ce besoin d'être respecté.
« Si le groupe a une idéologie pacifique, il y a de grandes chances que la personne adopte une attitude pacifique. Si le groupe prône la violence, elle risque de devenir violente », dit M. Bélanger.
Radicalisation n'est donc pas synonyme de violence, souligne M. Bélanger. Il cite le mouvement hippie des années 60, une contre-culture qui a fait des millions d'adeptes et qui prônait une façon radicale de vivre par rapport à la norme sociétale à l'époque, mais qui était avant tout pacifique, explique M. Bélanger.
« Le djihad, c'est l'élément de contre-culture actuel auquel des jeunes d'aujourd'hui s'attachent. Les recruteurs [de l'État islamique] vont dire : "le djihad, c'est sexy". À une autre époque, c'était Che Guevara, ou le mouvement hippie, qui était pacifique. Avec le temps, ça va changer. »
— Jocelyn Bélanger
Facteurs sociaux
Qui est susceptible de se radicaliser? Ce sont surtout de jeunes hommes, qui ont entre 18 et 24 ans, note le chercheur. On compte toutefois un nombre grandissant de jeunes femmes. Un récent rapport de la New America Foundation, un groupe de réflexion états-unien, mentionne qu'un militant occidental sur sept qui se rend en Syrie et en Irak pour le djihad est une femme. L'âge moyen est de 25 ans pour les hommes et de 21 ans pour les femmes.
Outre l'âge et le genre, les recherches scientifiques n'ont pas pu établir d'autres caractéristiques communes.
« Il est devenu clair que le profilage s'appuyant sur des données démographiques, tels le statut socio-économique, l'origine ethnique, l'appartenance religieuse ou la scolarité, est scientifiquement insatisfaisant », constatent les chercheurs de l'UQAM. Les djihadistes ou les autres qui ont recours à l'extrémisme violent proviennent donc de tous les milieux.
On ne devient toutefois pas djihadiste ou kamikaze du jour au lendemain. Il y a une gradation, un processus dans la radicalisation, rappelle M. Bélanger. Une personne peut soutenir de façon « passive » une cause, par exemple en relayant des messages sur les médias sociaux. Le soutien peut devenir plus actif, par exemple lorsque la personne prend part à des activités de financement. Ensuite, « elle peut être engagée, prendre part à des actes de violence. L'ultime sacrifice est d'être prêt à mourir pour une cause », rappelle Jocelyn Bélanger.
Ceux qui meurent pour une cause le font souvent parce qu'ils ont l'impression qu'ils vivront éternellement dans un groupe ou une société, selon lui.
« Avoir sa photo en couverture du magazine Rolling Stone [comme le coauteur des attentats du marathon de Boston, Djokhar Tsarnaev], être interviewé comme une rock star, comme certains djihadistes, ça donne un sentiment d'importance. »
— Jocelyn Bélanger
Une autre donnée clé, selon le chercheur, est que dans 66 % des cas, les gens qui se tournent vers l'extrémisme violent le font par l'entremise de pairs, que ce soit la famille ou des amis.
D'ailleurs, le rapport de la New America Foundation souligne qu'un tiers des combattants occidentaux qui rejoignent les extrémistes en Syrie ou en Irak ont des « attaches familiales » avec le djihad (soit des frères, des soeurs, des parents, des cousins, ou encore un époux ou une épouse déjà engagés).
Agir en amont
Il faut être en mesure d'identifier les signes avant-coureurs de la radicalisation et trouver de l'aide afin de prévenir l'escalade menant à l'extrémisme violent, insiste le chercheur.
« C'est important que les jeunes, à l'école, développent une littéracie numérique, pour savoir décoder ce qu'il y a dans les médias. Souvent, les discours haineux et les messages d'appel à la violence sont visuellement attrayants », remarque-t-il, ce qui explique leur impact.
« Il faut qu'ils apprennent à voir l'autre côté de la médaille, à décortiquer les messages radicaux, pour ne pas se faire prendre. C'est une inoculation, comme un vaccin. On donne une dose, comme ça quand la personne se fera confronter pour le vrai, elle ne se fera pas prendre », dit-il.
Le chercheur cite aussi l'importance du soutien familial. « Lorsqu'un membre s'isole, adopte un discours idéologique, poursuit une cause qui prend toute sa vie, ne fait aucune activité sauf pour cette cause, il faut intervenir ». Ceci nécessite la vigilance des parents et des proches, dit-il, rappelant toutefois qu'il n'y a pas de trajectoire unique.
Celui qui a aussi été mandaté pour mettre sur pied le Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence, à Montréal, cite une statistique intéressante à ce sujet : dans près des deux tiers des attentats commis par des « loups solitaires », les proches étaient au courant que l'individu avait un plan. « Donc, le groupe social, la famille, est aussi bon pour la radicalisation que pour la déradicalisation. Si les membres de la famille sont au courant et ont les outils, ils peuvent contribuer au désengagement ou à prévenir la radicalisation », affirme-t-il.
Des ressources existent pour épauler professeurs, proches ou amis, comme la ligne d'aide du Centre de prévention de la radicalisation menant à la violence.