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mercredi, octobre 14, 2015

ISRAËL La peur au coin de la rue

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14 octobre 2015 |Libération | Actualités internationales
Une jeune femme attaque au lance-pierres des soldats israéliens. Les Palestiniennes sont plus nombreuses à participer aux affrontements quotidiens avec le Tsahal.
Photo: Musa al-Shaer Agence France-Presse

Une jeune femme attaque au lance-pierres des soldats israéliens. Les Palestiniennes sont plus nombreuses à participer aux affrontements quotidiens avec le Tsahal.
Israël est plongé dans l’angoisse. Douze jours après son déclenchement, l’« intifada des couteaux » a installé un état d’anxiété permanent qui influence la vie quotidienne des habitants : ils réduisent leurs sorties dans la rue, évitent les terrasses des cafés et les lieux fréquentés. Par mesure de sécurité et parce que les services de sécurité et la police sont incapables d’empêcher les assaillants de passer à l’action avec un couteau de cuisine ou un tournevis. Mais également parce que les attaques ne sont pas limitées à la partie arabe de Jérusalem.
 
Dans la seule matinée de mardi, des Arabes israéliens et des Palestiniens de Cisjordanie sont passés à l’action à deux reprises à Raanana, une ville bourgeoise de la grande banlieue de Tel-Aviv où de nombreux émigrants français sont installés, ainsi qu’a Or Aqiva, une bourgade endormie dont personne n’entend jamais parler.
 
« C’est précisément le caractère imprévisible de ces attaques et le fait que leurs auteurs soient très jeunes — de 13 à 20 ans — qui effrayent. Car jusqu’à ces derniers jours, personne n’imaginait en Israël que des ados à peine pubères passeraient à l’action avec une mentalité de chahid [martyr]. En sachant très bien qu’ils n’en sortiraient pas vivants ou qu’ils écoperaient d’une peine de perpétuité incompressible, explique le chroniqueur spécialisé Ron Ben Yishaï. Des ados prêts à lancer des pierres, il y en a toujours eu beaucoup et il y en aura encore. Mais des petits jeunes prêts à prendre d’assaut un autobus ou à foncer sur des flics surarmés pour leur défoncer le crâne à coups de marteau, c’est inédit. »
 
Mardi matin, sur la rue Ahouza, l’artère principale de Raanana, Ravia el-Makayes a assisté en direct à l’une de ces attaques. Sous le choc, elle a été emmenée à l’hôpital avant d’être prise en charge par un psychologue. « Cela s’est passé en quelques secondes, raconte-t-elle. Un Palestinien a priori très calme s’est approché d’un abribus et a commencé à poignarder à tout-va. Le gérant d’une agence immobilière voisine est sorti et l’a affronté à mains nues, rapidement rejoint par d’autres commerçants et par des passants. Ceux-ci ont ensuite passé le “terroriste” à tabac en attendant l’arrivée des services de sécurité. » En général, les passants règlent leur compte aux poignardeurs, ce qui donne lieu à des scènes pénibles durant lesquelles l’agresseur gisant dans son sang écope de coups de pieds pendant que d’autres l’insultent en arabe.
 
Des inconnus sans passé politique
 
Cette justice expéditive est encouragée par plusieurs responsables israéliens. Ministre de la Défense, Moshé Yaalon a déclaré à plusieurs reprises que « les terroristes et auteurs d’attaques au poignard doivent être liquidés sur place, cela ne fait aucun doute ». Quant au maire de Jérusalem, Nir Barkat, il appelle ses concitoyens titulaires d’un port d’arme à sortir avec leur calibre.
 
« Le Shabak [la Sûreté générale] et la police sont décontenancés par cette intifada hors normes, parce qu’ils ne disposaient d’aucune information concrète sur les attaquants », explique le chroniqueur judiciaire Moshé Nussbaum. Aux yeux des services de sécurité, ce sont de parfaits inconnus sans passé politique. Pire : ce sont parfois des gens considérés comme « de confiance ». Mardi à Jérusalem, l’un des attaquants était un ouvrier de Bezek (la compagnie téléphonique nationale) résidant à Jérusalem-Est (la partie arabe de la ville) et disposant d’une accréditation de sécurité. Donc, insoupçonnable aux yeux des Israéliens. Pourtant, l’homme a foncé sur des passants avec son véhicule et a ensuite tenté d’en poignarder d’autres.
 
Pour l’heure, Benjamin Nétanyahou continue imperturbablement d’accuser Mahmoud Abbas et les médias palestiniens d’« inciter les jeunes terroristes à tuer des juifs ». Mais le discours du premier ministre passe mal puisque, selon un sondage publié durant le week-end, 75 % des Israéliens se déclarent mécontents de la manière dont il gère ce nouveau cycle de violences.
 
Se charger de la sécurité
 
« Ne nous cachons pas les yeux : on ne peut rien faire pour empêcher ces attentats, et dire que “c’est de la faute d’Abbas” ne suffit pas à nous calmer. Donc nous devons prendre en main notre sécurité et celle de nos enfants », lâche Orna Ben Zion, animatrice d’un comité de mères qui manifeste régulièrement devant la mairie de Holon (banlieue de Tel-Aviv) pour qu’on empêche les ouvriers municipaux arabes israéliens ou palestiniens d’approcher des écoles.
 
À l’instar du « comité des mères » de Holon, d’autres groupes se sont créés dans différentes villes pour exiger que les ouvriers arabes ne puissent plus travailler sur les chantiers, « le temps que la situation se calme ». Dans certains immeubles de Tel-Aviv, le Vaad (« le comité de gestion ») dénonce par un avis affiché à l’entrée la présence de locataires arabes dans le bâtiment.
 
Cette peur est amplifiée sur les réseaux sociaux par des rumeurs d’agressions en réalité inexistantes. Mais elle taraude également des ouvriers arabes israéliens et les Palestiniens qui désertent les restaurants et les chantiers où ils sont employés, de crainte d’être pris à partie par une population excédée.
 
En général, chaque attentat donne lieu à une manifestation d’extrême droite au cours de laquelle quelques dizaines de militants venus d’ailleurs scandent « Nekama » (« vengeance ») et « Mavet learavim » (« mort aux Arabes ») devant les caméras de télévision. Plus discrètement, les habitants des quartiers ensanglantés se réunissent un peu plus tard pour exprimer leur désarroi.
 
Ils y déballent leurs angoisses, mais très peu réfléchissent en profondeur sur les origines de la situation. L’occupation des territoires palestiniens ? La poursuite de la colonisation ? On ne parle pas de « ça ». Au contraire. « Si les Arabes veulent la guerre, il faut la leur donner, quitte à ce qu’on souffre un peu », lançait ainsi Varda Gardi, une habitante d’Armon Hanatziv, un coin de Jérusalem où de nombreuses attaques ont eu lieu ces derniers jours, au cours de l’une de ces rencontres défouloir.

Dépassés par l’accélération du rythme des attaques et par le développement du sentiment d’insécurité, Nétanyahou et le cabinet restreint de la sécurité étudient de «nouvelles mesures» censées rassurer la rue israélienne. Parmi elles, le rappel de milliers de réservistes, le bouclage de la Cisjordanie et, pour la première fois, des quartiers arabes de Jérusalem. «Nous avons les moyens de faire, il suffit de poster des soldats et des gardes-frontières tout autour», jure Avi Dichter, un ancien directeur du Shabak.

En attendant, les seuls à profiter de la situation sont les armuriers, qui ont vu les demandes de permis de port d’arme grimper de 150 % en une semaine. Les menottes, les matraques télescopiques et les coups de poing américains sont quasiment en rupture de stock. Pour les pulvérisateurs de gaz au poivre et lacrymogènes, il faut s’inscrire sur une liste d’attente. Le prochain arrivage est prévu dans 15 jours.