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mercredi, mai 06, 2015

Les liens du sang

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Les liens du sang
PHOTO VALÉRIE GONTHIER

CA_Josee-Legault
Il arrive de ces moments où ne rien dire devient de la complicité pour cause d’indifférence ou de passivité.
Le cas plus que troublant de ces familles et de ces couples de Kahnawake formés d’au moins un conjoint ou une conjointe non-autochtone et qui«refusent de céder à la pression et à l’intimidation de la part de certains membres de leur communauté qui veulent les forcer à déménager» en est un.
Le problème, connu, n’est pourtant pas nouveau. Selon un règlement de Kahnawake adopté en 1981, il serait interdit à une personne Mohawk d’habiter dans la réserve lorsque sa conjointe ou son conjoint n’est pas autochtone. Dans la communauté, c’est ce qu’on appelle un moratoire sur les mariages non-mixtes. Un long moratoire.
Traduction : interdiction à terme de résidence pour les couples dits «mixtes» sur le plan des origines et des  liens de sang.
Ou dit plus clairement, les «non-Indiens» ne sont pas les bienvenus comme résidents et membres à part entière de la communauté lorsqu'ils se mettent en couple avec une personne Mohawk.
Ou dit encore plus clairement, les résidents Mohawks qui choisissent d’être en couple avec une personne non-autochtone se voient obligés de choisir ensuite entre la personne aimée et leur droits et attachement à leur communauté.
Les raisons évoquées peuvent toutes sembler justifiables en théorie – préservation des traditions, de la lignée, combat historique pour la survie d’un groupe, etc.
Or, s’il vrai que c’est une question fort complexe et que les groupes autochtones ont subi de nombreuses injustices tout au long de l’histoire canadienne, il reste qu’en Occident, en 2015, ce type de politique a un nom : xénophobie.
Cette fois-ci, c’est l’histoire d’un couple marié formé d'une épouse Mohwak et d'un mari qui ne l’est pas. Dans la communauté où ils vivent malgré tout , ils font partie d’un groupe de couples qu'on dit «mixtes» et que l’on somme de quitter.
Le Journal rapporte aussi que «son neveu, aussi marié avec une non-Mohawk, a vu sa maison être vandalisée ce week-end. Certains auraient même tenté de lancer des cocktails Molotov sur la résidence de Marvin et Terri McComber.»
Dans la réserve, on les intimiderait, allant même jusqu’à manifester devant leur maison et à y peindre des graffitis xénophobes pour qu’ils quittent la réserve.
La Presse rapporte aussi ce qu’on peut lire sur une des pancartes qui leur servent d’«avertissement» pour contraindre les couples «mixtes» à quitter la réserve : « Pour toujours : notre terre, nos droits, notre sang ». Ce genre de message glace en effet le sang...
***
 
Un témoin des événements raconte qu’on les aurait tout simplement ciblés pour «en faire un exemple» aux autres.
La tension monte. L’inquiétude pour la sécurité de ces gens, aussi. On se croirait propulsés à une époque où les «étranges», comme on les appelait, pouvaient être harcelés pour qu’ils finissent par quitter eux-mêmes leur village.
Or, certains de ces couples «mixtes» résistent. Heureusement.
Plusieurs «ont intenté un recours contre leur conseil de bande en lien avec la loi sur les «couples mixtes», s’appuyant sur la Charte canadienne des droits et libertés».
Selon leur avocat, Me Julius Grey, «nous croyons que la Cour va déclarer qu’on ne peut pas mettre de pression pour limiter qui, dans la société, on peut épouser». Espérons qu’il aura raison...
Un certain premier ministre canadien a déjà dit, aussi avec raison, que «l'État n'a rien à faire dans les chambres à coucher de la nation».
Aujourd’hui, on peut y ajouter que si l’État n’a en effet rien à «juger» sur l’orientation sexuelle des individus, l’avortement ou le divorce, aucune autorité politique, quel qu’elle soit, petite ou grande, ne devrait avoir quoi que ce soit à faire, non plus, à juger des «origines» des membres d’un couple, marié ou non, pour qu'ils puissent résider dans la communauté.
Quand la xénophobie frappe, il faut répondre. Pacifiquement, mais il faut dénoncer, sans le moindre équivoque. Et surtout, pas question de répondre à la xénophobie par une autre forme de xénophobie.
Entendrons-nous les leaders politiques s’y opposer, clairement, à leur tour?