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Dès les premières semaines de travail de la commission Charbonneau, Renaud Lachance avait réclamé que les acteurs de la Société immobilière du Québec et des élus municipaux ayant cautionné des changements de zonage favorisant des entrepreneurs soient appelés à témoigner. Sa demande s'est heurtée aux limites du mandat de la Commission.
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Publié le 24 novembre 2016 à 05h00 | Mis à jour à 06h17
PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE |
(Québec) En raison de la formulation de son mandat et d'enquêtes policières en cours, la commission Charbonneau n'a pu se pencher sur deux problèmes manifestes pour ses enquêteurs : les transactions douteuses de la Société immobilière du Québec et les tractations entourant les changements de zonage municipal dans la grande région de Montréal.
Dans les deux cas, le commissaire Renaud Lachance avait réclamé que les acteurs de la Société immobilière du Québec (SIQ) et des élus municipaux ayant cautionné des changements de zonage favorisant des entrepreneurs soient appelés à témoigner devant la Commission. Des efforts qui se sont révélés vains : le mandat de la Commission portait sur «l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction». Pour la SIQ comme pour le zonage, pas de contrats accordés, pas de construction; la Commission devait donc regarder ailleurs.
La vente de trois immeubles appartenant au gouvernement, transaction amorcée par la SIQ, pour 265 millions, au printemps 2008, n'avait pas échappé à M. Lachance, alors vérificateur général. «Tout ce que je peux vous déclarer, c'est que j'ai suivi ce dossier de très, très près. Même quand j'étais à la Commission», se bornera-t-il à dire, joint par La Presse. Il s'est refusé à tout autre commentaire.
Aussi, pendant quatre ans, la Commission a enquêté sur la construction tout en sachant qu'elle laissait en plan un énorme problème dans son angle mort. Les changements de zonage dans plusieurs villes autour de Montréal étaient un terreau très fertile pour la corruption. Les enquêteurs le savaient, mais ils n'ont pu aller dans cette direction.
La Commission, qui a remis son rapport il y a un an, avait monté un dossier étoffé autour d'allégations de corruption d'élus municipaux par des promoteurs immobiliers qui, pour aller de l'avant avec leurs projets, avaient besoin d'un changement au zonage municipal.
«Il était là, le pot de miel le plus intéressant sur la corruption municipale, bien plus que dans la construction», a affirmé un ex-enquêteur de la Commission, témoin de ces délibérations, à propos des changements au zonage municipal de plusieurs villes autour de Montréal.
Renaud Lachance commissaire et ex-vérificateur général, faisait pression pour que la Commission puisse se pencher sur le processus entourant ces changements de zonage, confie-t-on. Au cours de la période couverte par la Commission, de 1996 à 2012, on avait repéré des changements importants pour le développement immobilier tant sur l'île de Montréal que dans sa couronne. Les limiers de la Commission avaient constaté que dans tous les cas, un nombre très réduit de conseillers municipaux décidaient du sort d'énormes projets de construction domiciliaire ou commerciale.
Souvent, pour faire un changement de zonage, cinq conseillers doivent approuver un changement au zonage - une formule très vulnérable aux pressions des entrepreneurs. La Commission avait été informée du cas d'un père qui faisait savoir aux entrepreneurs de sa ville qu'il pouvait leur vendre le vote de sa fille, conseillère municipale.
La Commission avait passablement de renseignements et de dossiers sur ce phénomène, mais ce travail est resté vain. La Commission a demandé des avis juridiques qui ont conclu que les questions de zonage n'étaient pas du ressort de la Commission, puisqu'on ne parlait pas d'«adjudication de contrats».
Geneviève Cartier, responsable de la recherche à la Commission, et Renaud Lachance avaient eu à prendre acte de ces avis les informant que le mandat de la Commission ne pouvait être étiré de manière à inclure les questions de zonage.
La SIQ
Dès les premières semaines de travail de la commission Charbonneau, le commissaire Lachance avait demandé qu'une firme de juricomptables soit chargée de scruter cette transaction louche de la Société immobilière du Québec : l'organisme avait, au printemps 2008, vendu trois immeubles gouvernementaux au Fonds de solidarité et à George Gantcheff. Or la firme choisie, Accuracy, avait déjà fait une vérification de cette transaction.
Mais un haut fonctionnaire à Québec se souvient très bien que la volonté de Lachance s'était là encore heurtée aux limites du mandat de la Commission. Pas de contrat, pas de construction ; les transactions autour d'immeubles existants et de leurs baux échappaient au filet de la Commission.
Au même moment, la police suisse communiquait avec la Sûreté du Québec pour une demande d'« entraide judiciaire » afin qu'elle jette un éclairage sur des transactions offshore, qui ont mis en lumière le rôle des Bill Bartlett, Charles Rouleau et Franco Fava, évoqués par l'émission Enquête le mois dernier.
«Le diagramme des transferts était déjà monté, les noms de Rondeau, Fava, Bartlett étaient déjà connus à la commission Charbonneau en 2013», explique un enquêteur de la Commission.
Dès lors, l'enquête de la police sur la SIQ, le «Projet Justesse», devenait une affaire strictement policière. Renaud Lachance voulait tout de même entendre les acteurs en audiences publiques. C'est alors que la police a explicitement demandé à la Commission de ne pas toucher à ce dossier. La Commission est passée à autre chose.
La petite histoire veut que Renaud Lachance ait eu depuis un bon moment ces transactions à l'oeil. Il s'était ouvert de son inquiétude auprès du sous-ministre des Finances de l'époque Jean Houde, perplexe devant une vente précipitée totalisant 265 millions, qui tombait par hasard à la fin de l'exercice financier.
Fait inusité, un représentant du Vérificateur avait rencontré en secret le conseil d'administration de la SIQ après le départ de Marc-André Fortier, pour les prévenir qu'ils avaient d'énormes problèmes à corriger.
Comme le Vérificateur se borne à un examen des «états financiers», à moins d'être informé de problème de fraude touchant le processus, il n'a pas à remettre en question le bien-fondé de décisions. Si la comptabilité d'une transaction est conforme aux normes, elle ne sera pas critiquée par le Vérificateur, mais M. Lachance, dans son rapport de 2008, soulignait déjà des problèmes de «conformité» dans la gestion de la SIQ.
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