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mardi, décembre 29, 2015

Un adolescent confié à la DPJ enfermé pendant 15 jours

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Publié le 29 décembre 2015 à 05h00 | Mis à jour à 06h17
L'adolescent a passé 15 jours dans une cellule... (Photo Charles Laberge, collaboration spéciale)
PHOTO CHARLES LABERGE, COLLABORATION SPÉCIALE
L'adolescent a passé 15 jours dans une cellule sans un seul meuble et sans lumière du jour. Il n'en sortait que trois fois par jour pour des pauses de trente minutes, durant lesquelles il était menotté.

Un adolescent confié à la DPJ-Montérégie a été enfermé 15 jours de suite - dont trois menotté - dans une cellule vide et sans fenêtre, nourri exclusivement de sandwichs. Un viol de «plusieurs de ses droits fondamentaux» qui vaut aux services sociaux un blâme de la justice.
Jonathan*, 17 ans, a aussi rapporté qu'il avait dû faire ses besoins sur le sol de la cellule, avant d'être forcé à nettoyer. Après avoir passé quatre jours sans se laver.
Le «bloc de retrait» est destiné à être utilisé à coups de 15 ou 30 minutes, voire quelques heures, le temps qu'une crise de colère passe. Y emprisonner un jeune pendant deux semaines constitue une «mesure abusive» qui «n'est pas cliniquement défendable», a affirmé la juge Mireille Allaire dans une décision très critique à l'endroit de la directrice de la protection de la jeunesse (DPJ). «L'alerte aurait dû être donnée» après un ou deux jours, déjà «une durée exceptionnelle».
La situation a d'ailleurs profondément perturbé les avocats chargés de représenter les enfants de la DPJ - et ils en ont vu d'autres. «Plus on grattait, plus on découvrait des choses. Au bureau, on a tous été troublés et surpris par l'ampleur de l'affaire», a déploré Me Charlotte Vanier Perras. «Ma directrice fait du droit de la jeunesse depuis des années, et elle était vraiment troublée.»
«Si la population savait que ce genre de chose avait lieu...», a-t-elle ajouté.
À la DPJ-Montérégie, on refuse de commenter ce cas en particulier, mais on promet d'appliquer la recommandation de la juge Allaire: la grande patronne de l'organisation est personnellement et directement avertie «chaque fois» qu'un jeune passe 24 heures en isolement. Chaque fois qu'un juge reconnaît que les droits d'un mineur ont été lésés, «c'est quelque chose qui est inacceptable», a expliqué la numéro 2 de l'organisation, Josée Morneau. «C'est sûr que ce n'est pas une situation qui est prise à la légère.»
Un jeune en détresse
Jonathan est loin d'être un enfant de choeur. Il est suivi en psychiatrie depuis l'âge de 6 ans et traîne de lourds antécédents: menaces de mort, agression causant une commotion cérébrale et méfaits.
Au moment des faits, il était sous la garde de la DPJ à la fois en tant qu'enfant abandonné à protéger de la violence de «son milieu familial» et en tant que jeune contrevenant.
Le 4 novembre 2014, il était «violent et s'est désorganisé», a rapporté la juge, et il aurait lui-même demandé d'être placé en isolement, avant de se raviser. Jonathan a été tout de même conduit au «bloc de retrait». Il s'est retrouvé torse nu au cours de l'intervention.
Il passera les 15 jours suivants dans la cellule sans un seul meuble et sans lumière du jour. Il ne pourra en sortir qu'à raison de trois pauses de trente minutes par jour, pendant lesquelles il est menotté. S'ajoutent la douche quotidienne - le jeune se plaint toutefois d'en avoir été privé quatre jours de suite - ainsi que les passages aux toilettes et deux comparutions en cour.
En outre, il «a été menotté durant trois jours».
Pourtant, Jonathan «n'a pas été en crise durant les 15 jours où il a été en isolement. Dès qu'il [a eu repris] son calme, il aurait dû être retourné dans une unité régulière», a déploré la juge Allaire.
«Qu'un jeune en isolement mange de la nourriture froide, n'est pas, selon la Cour, un manquement au respect de ses droits, mais qu'il soit soumis à ce traitement durant deux semaines le devient», a écrit la juge.
«Qu'il ait été, quelques minutes, torse nu parce que son chandail a été déchiré, lors de l'altercation avec les agents, peut s'expliquer. Mais qu'il le demeure plusieurs heures constitue un manquement à son intégrité physique et à sa dignité.» «J'ai un problème de poids et je me sentais humilié» par cette nudité partielle, a expliqué le jeune au tribunal.
«La Cour blâme la Directrice et les intervenants sur la façon dont ils ont géré la situation», ajoute le magistrat.
«Du mieux qu'on peut»
Pour l'avocate de Jonathan, Charlotte Vanier Perras, la situation est complètement inacceptable.
«On n'a jamais nié les faits», soit le fait que le jeune était difficile, a-t-elle affirmé en entrevue.
«La DPJ et les centres de réadaptation, ce sont des endroits qui sont censés pouvoir prendre en charge un jeune comme ça. Même pour un jeune qui présente des comportements de violence, ce n'est pas justifié qu'il vive des conditions de ce type-là pendant 15 jours.»
Du côté de la DPJ-Montérégie, on continue de faire confiance aux règles établies et au personnel en fonction.
«L'isolement, c'est une mesure de dernier recours, et l'utilisation de menottes, c'est encore plus une mesure de dernier recours», a expliqué Josée Morneau, directrice de la protection de la jeunesse adjointe. «C'est pour la sécurité soit de la personne, soit d'autrui.»
Pour elle, ce cas démontre «la complexité de la situation et des moyens qui ne sont pas faciles à mettre en place», a-t-elle dit. «On fait face à des jeunes qui portent de grandes souffrances, qui font face à de grandes difficultés. Je vous assure qu'on tente de les accompagner du mieux qu'on peut.»
De fait, la juge Allaire a refusé de condamner la DPJ à transmettre au jeune une lettre d'excuses, «puisque la bonne foi des intervenants n'a jamais été remise en cause».
* Prénom fictif. La Presse ne peut dévoiler le nom de l'adolescent.
Des antécédents à la DPJ-Montérégie
Ce n'est pas la première fois qu'un juge reproche à la DPJ-Montérégie d'avoir lésé les droits d'un enfant sous sa garde. L'an dernier, deux juges ont dénoncé dans leurs jugements la tendance de l'organisation à faire fi de leurs décisions: une intervention d'un éducateur n'avait pas eu lieu et une fratrie avait été divisée. La DPJ «a délibérément fait abstraction de l'ordonnance judiciaire», a dénoncé une juge. «L'ignorance de la loi et d'un principe aussi basique en matière d'exécution d'ordonnance [...] ne peut constituer une justification», a écrit un autre. Fait inhabituel, les magistrats avaient même envoyé des huissiers dans le bureau de la grande patronne de la DPJ pour qu'elle reçoive personnellement une copie de leur jugement. Celle-ci avait affirmé à La Presse prendre «tout à fait» au sérieux la situation.