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À l’été 2002, dans le premier discours que j’ai écrit pour Jean Charest, j’avais parlé de « l’État québécois » sans même y penser, en référence à ce grand tout formé de nos institutions et de notre gouvernement, comme tant de gens le faisaient et le font toujours. Il m’avait alors dit qu’il n’avait jamais employé cette expression et je lui avais répondu que je n’avais jamais désigné le Québec par le mot « province ». C’est la première discussion que j’ai eue avec lui.
Quelques années plus tard, Jean Charest faisait une utilisation spontanée des mots « peuple » et « nation ». Ce n’est pas à cause de moi. C’est à cause de la fonction. Quand on devient le chef du gouvernement du Québec, on devient pétri par la réalité politique et culturelle unique du Québec et de ses gens. Concevoir le Québec comme une nation coule alors de source. Cela devient une évidence, même pour quelqu'un qui a longtemps siégé à Ottawa.
Le Québec est une sorte de miracle de l’histoire politique. Notre peuple a su par-delà les ans et les événements faire échec à la loi du nombre pendant des siècles pour bâtir en terre d’Amérique une société francophone qui compte parmi les plus prospères. Il n’y a pas beaucoup d’équivalents d’une telle opiniâtreté dans le monde.
Cette compréhension est largement partagée par les députés de l’Assemblée nationale, même si la discussion sur le statut politique du Québec vient à les opposer. Pour les fédéralistes, les Québécois ne devraient pas tourner le dos au pays qu’ils ont fondé. Pour les souverainistes, le destin du Québec-nation appelle le pays par simple cohérence. Mais chez les uns comme chez les autres, pour un grand nombre d’entre eux à tout le moins, il y a une part de blessure dans leur choix. Par exemple, beaucoup sont devenus souverainistes après l’échec de Meech; beaucoup sont restés fédéralistes malgré cet échec. La discussion sur le statut politique du Québec mêle le bon gré et le malgré.
Comme leader fédéraliste, Philippe Couillard est-il en rupture avec ses prédécesseurs? Est-il le tenant de ce qu’on pourrait appeler un fédéralisme béat, un fédéralisme d’adoration? C’est ce que soutiennent mon collègue Stéphane Gobeil, notamment ici et Mathieu Bock-Côté ici.
Devant le parlement ontarien, le 11 mai dernier, Philippe Couillard a prononcé son discours le plus « nationaliste » depuis qu’il est en fonction.
En voici deux courts extraits :
« Comme premier ministre du Québec, j’assume le rôle primordial de chef d’État de la seule société à majorité francophone d’Amérique. Cette caractéristique unique est une fierté, mais également une grande responsabilité. »
« Le caractère spécifique du Québec doit nécessairement être formellement reconnu. Cette reconnaissance, redisons-le, est le reflet d'une réalité évidente qui participe à la définition même du pays »
Mais à nul moment dans ce discours, il n’a spécifiquement parlé du Québec comme d’un peuple ou d’une nation. Il a fait un éloge du Canada et de son ouverture, disant notamment : « Depuis 1980, partout au Canada on assiste à la multiplication des classes et des écoles d’immersion française, ce qui témoigne d’une présence accrue de francophiles et de leur désir de transmettre à leurs enfants une part de notre héritage francophone. »
À Toronto, le premier ministre du Québec a prononcé un discours qui aurait très bien pu être prononcé par un ministre fédéral québécois.
Philippe Couillard parle du Canada avec une ferveur qu’on ne connaissait pas et qui est déstabilisante. Quand il allègue, par exemple, devant ses militants en congrès que l’histoire est mal enseignée, il s’avance sur un terrain qui ne devrait pas être celui des politiciens, comme le dit bien Mario Dumont. Si notre histoire a eu ses colombes, comme Lafontaine et Baldwin, elle n’a pas manqué de faucons. On ne peut pas centrer son regard que sur la moitié des volatiles.
Ce qui étonne chez Philippe Couillard, c’est que s’il parle avec emphase du Québec dans le Canada à Toronto, il semble parler avec embarras du Québec aux Québécois. Le projet de loi faiblard sur la neutralité religieuse de l’État, qui est en-deçà des recommandations de la Commission Bouchard-Taylor, ou sa proposition brutale d’augmenter l’immigration ne sont que deux exemples récents de son insensibilité envers les Québécois et ce qui les touche. En fait, lorsque Philippe Couillard parle du Québec aux Québécois, on pourrait presque dire qu’il le fait davantage comme le PDG d’une société de gestion attaché à des objectifs financiers que comme le premier porte-parole de la seule nation francophone d’Amérique.
À l’heure où les souverainistes se redonnent une cohésion, Philippe Couillard devra apprendre à parler du Québec aux Québécois dans une perspective plus transcendante que le déficit zéro.