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jeudi, février 25, 2016

La désillusion des Québécois chantée par Les Cowboys Fringants

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Mise à jour le jeudi 25 février 2016 à 12 h 01 HNE
Les Cowboys Fringants en concertLes Cowboys Fringants en concert  Photo :  La Tribu
Il y a 20 ans cette année que Karl Tremblay, Jean-François Pauzé, Marie-Annick Lépine et Jérôme Dupras participaient à un concours d'amateurs à Repentigny sous l'appellation Les Cowboys Fringants.
Un texte de Philippe RezzonicoTwitterCourriel
Vingt ans, des milliers de spectacles au Québec et en Europe francophone et près de 1 million de disques/DVD vendus : nous avons survolé ces deux décennies lors de trois entrevues téléphoniques individuelles avec le fougueux chanteur (Karl), l'auteur-compositeur principal (Jean-François) et la compositrice et multi-instrumentiste (Marie-Annick Lépine) à l'approche de leur rentrée montréalaise avec leur nouveau-né, Octobre.
Une même grille de questions pour les trois artistes. Au menu : souvenirs, écriture, famille, disques, société, popularité, spectacles, politique et le temps qui passe.

Cela se passait à la brasserie La Ripaille, à Repentigny, en 1996. Une bande d'amis qui avait inventé un nom de groupe en quelques secondes faisait fureur à un concours d'amateurs. Les tout jeunes membres des Cowboys Fringants pensaient-ils vraiment commencer ce que l'on peut désigner aujourd'hui comme une carrière?
Jean-François : « Moi, j'y croyais à l'époque, même si certains pensaient que c'était plus pour s'amuser. Que c'était un hobby pour nous.  J'ai toujours écrit en essayant de m'améliorer. Au début, c'était plus de la parodie. Mais on a amené le groupe ailleurs. C'était un rêve d'écrire des chansons. Je ne savais juste pas si ça allait être avec Les Cowboys ou autrement. Mais j'y croyais. »
Marie-Annick : « C'est sûr qu'on y croyait. On voyait les super réactions de la foule. C'étaient nos amis, bien sûr, mais on avait les mêmes réactions quand on jouait à La Ripaille ou ailleurs. Mais, que ça dure 20 ans, ça, on n'y pensait pas. »
Karl : « En 1996, ce n'était pas un rêve pour moi. On faisait ça pour nos amis. Et comme nous avions beaucoup d'amis, on avait du succès avec notre pastiche western et nos reprises de Joe Dassin. Je dirais que c'est après notre deuxième place derrière Loco Locass aux Francouvertes (1999) qu'on s'est dit qu'il était possible de faire carrière en musique. »
Les Cowboys Fringants en 1996Les Cowboys Fringants en 1996  Photo :  La Tribu
Il y a une nostalgie évidente au sein des chansons d'Octobre. Des titres qui évoquent le temps qui passe, les amours passées et la famille. Un des Cowboys a atteint la quarantaine l'an dernier et un autre franchira ce cap cette année. Octobre est le genre de disque que l'on écrit à un certain âge.
Marie-Annick : « Avoir des enfants change bien des choses. On en a tous eus entre Que du ventet Octobre. On s'implique depuis près de 15 ans avec la Fondation des Cowboys Fringants, qui vise à protéger l'environnement, et ça fait aussi longtemps que l'on parle de la génération future. Mais quand la génération future se retrouve dans ton salon, ça change la perspective. »
Karl : « Le personnage de Mon grand-père, c'est le grand-père de Jean-François, mais ça pourrait être celui de n'importe qui. La chanson nous a donné l'occasion d'utiliser un effet de voix, ce qu'on ne fait jamais - et d'aller vers un style bluegrass. C'est sûr que le temps passe. Collectivement, nous avons quatre enfants, et un cinquième est en chemin. On aurait bientôt un band de la relève au complet... »
Jean-François : « Dans l'univers des Cowboys, c'est bien de faire des clins d'œil au passé par des chansons revendicatrices, touchantes ou drôles. Une chanson comme Pizza galaxie est inspirée d'un moment plus sombre de ma vie. À l'inverse, Les feuilles mortes a été écrite en pensant à mon garçon. »
Les Cowboys Fringants ont toujours été un groupe engagé, socialement et politiquement.Octobre est néanmoins un retour en force sur cet aspect avec des chansons aux propos mordants comme La la laLa cave et Louis Hébert.
Jean-François : « On avait mis de côté un peu les chansons engagées, sociales ou politiques sur les deux derniers disques. Mais après presque 10 ans sans trop prendre position, trop de choses se sont produites qui nous ont fait grincer des dents. Il était temps de lancer notre pavé dans la marre. »
Karl : « On disait de L'expédition que c'était un disque plus sage, plus mature. Il y a ici un retour à une folie qui est plus proche de celle de Break syndical, notre petit côté Cowboys punk… On a eu des chansons sociales ou politiques sur les derniers disques, que l'on pense à Classe moyenneet à Monsieur. Mais avec la situation mondiale et tout ce qui s'est passé au Québec et au Canada depuis quatre ans, Jean-François est allé dans cette voie. Et on adhère tous à ça. Il me connaît depuis assez longtemps pour ne pas aller dans une voie que je n'endosserais pas sur scène. »
Marie-Annick : « On voulait des chansons fortes, mais qui permettent aux gens de s'éclater sur scène. J'adore L'expédition, mais des chansons comme Chêne et roseau et La bonne pomme, ce n'est pas évident en spectacle. On avait besoin de chansons comme La cave et Marine marchande. »
Le chanteur des Cowboys Fringants Karl TremblayLe chanteur des Cowboys Fringants Karl Tremblay  Photo :  La Tribu
Si les politiques de toutes les allégeances en prennent pour leur grade sur certaines chansons, Les Cowboys parlent de leurs préoccupations sociales par l'entremise des chansons Les vers de terre et So so, où la désillusion d'une certaine idée de la solidarité est omniprésente. Un peu comme si Les Cowboys criaient « réveillez-vous! » à tout le monde.
Jean-François : « Réveillez-vous, c'est surtout réveillons-nous. On ne fait pas des chansons pour faire la morale. On pourrait tous en faire plus. Moi aussi, je ne suis peut-être plus autant le jeune revendicateur ''révolutionnaire'' que j'étais en 1998. Nous avons des enfants, des hypothèques, nous vivons dans un monde tout croche et ça me fait chier, moi aussi. On a tous des idéaux de société meilleure, mais quand vient le temps de passer de la parole aux actes… »
Marie-Annick : « Break syndical était une critique des hautes institutions gouvernementales. Ici, on vise aussi le citoyen qui ne bouge pas. Il faut tous bouger ensemble pour que les choses bougent. »
Karl: « Quand on observe rétrospectivement notre œuvre, on voit qu'il y a toujours eu de la désillusion dans les chansons des Cowboys, à commencer par En berne et La manifestation. Ça ne date pas d'hier. C'est le petit côté fâchant des Québécois qui semble s'être transmis de génération en génération : une sorte de confort et d'indifférence. »
Les Cowboys fringants, à une date inconnueLes Cowboys fringants, à une date inconnue  Photo :  La Tribu
Durant plus de deux ans, Les Cowboys Fringants ont boycotté tous les médias de Québecor durant le lock-out au Journal de Montréal (janvier 2009-février 2011). Comment ces souverainistes affichés et convaincus composent-ils avec le fait que le patron de cette entreprise médiatique dont ils déploraient le comportement à l'époque est désormais le chef du parti qui désire mener le Québec à l'indépendance?
Karl : « Pierre Karl Péladeau, chef du Parti québécois, c'est spécial… Il y a déjà eu de la grogne populaire à son endroit. Si un jour nous avons un pays, j'espère qu'il ne gérera pas le Québec comme il l'a fait du temps du lock-out (rires). Cela dit, je ne pense pas que la notion de pays est morte. Mais elle est en latence. »
Marie-Annick : « Ce n'est pas idéal, mais c'est l'idéologie qui nous interpelle. Nous voulons un pays, indépendamment d'un parti ou d'une personne. Mais ce n'est pas très à la mode de parler d'indépendance ces temps-ci. »
Jean-François : « Je vais voter pour PKP. C'est un souverainiste convaincu, peu importe la façon dont il menait sa barque en affaires. Le Canada ne m'intéresse pas. L'indépendance, c'est un enjeu qui m'intéresse. C'est la cause qui me tient le plus à cœur. »
Les Cowboys Fringants à l'Olympia de Paris en 2012Les Cowboys Fringants à l'Olympia de Paris en 2012  Photo :  La Tribu
Au début de février, Les Cowboys Fringants ont offert trois spectacles dans trois salles différentes à Paris. Aucun groupe francophone de chez nous n'est plus populaire qu'eux sur le Vieux Continent. Il faut les voir en Europe au moins une fois pour réaliser la frénésie qu'ils génèrent là-bas.
Jean-François : « C'est peut-être l'effet de rareté. Parfois, ils ne nous voient pas durant six mois ou un an. Mais nous n'avons pas le goût de passer six mois en tournée là-bas, d'autant plus que nous avons tous des enfants désormais. On fait des tournées éclair comme celle que l'on vient de faire à Paris. Des tournées de sept ou huit dates dans les grosses villes comme Lyon, Paris, Genève, Bruxelles et Marseille.
« Le rapport est différent en Europe, où les artistes sont souvent mis sur un piédestal. Ici, nous sommes vus comme des chums avec qui les fans veulent prendre une photo. Là-bas, nous sommes accueillis comme des rock stars. Il y a parfois plus de 200 personnes qui attendent à l'entrée des salles. C'est un peu déstabilisant. »
Marie-Annick : « Nous ne sommes pas plus populaires en Europe qu'au Québec, mais on ne peut comparer un spectacle à L'Olympia (2800 personnes) avec un spectacle devant 200 ou 300 personnes à la salle Hector-Charland. C'est plus facile de comparer avec le Métropolis, disons. Et nous ne vendons pas de disques en Europe, même si tout le monde connaît par cœur les paroles de nos chansons à nos spectacles. En Europe, les gens achètent la musique sur iTunes, et on ne vend presque rien sur iTunes. Soixante-quinze pour cent de nos ventes de disques au Québec sont physiques. »
Karl : « Même si on a vendu environ 950 000 albums en 20 ans, c'est notre popularité sur scène qui nous a permis de traverser la crise du disque. Les gens n'ont pas tous acheté nos albums, mais ils viennent en masse à nos spectacles, au Québec ou en Europe. Ils achètent un t-shirt ou autre chose.
« Il y a 10 jours à L'Olympia, on aurait pu jouer quatre heures. Les gens nous demandaient des vieilles chansons. On aurait pu faire une tournée « d'insuccès ». La foule chantait encore un quart d'heure après la fin du spectacle et nous sommes revenus faire Un petit tour à la guitare acoustique devant 500 personnes pendant que les techniciens débranchaient les fils. Nous avons un public fidèle sur les deux rives qui aime le nouveau disque, et j'espère qu'on va continuer pour encore 25 ans. »
Les Cowboys Fringants sont au Métropolis le vendredi 26 février (complet). En supplémentaire le 15 octobre. Également en supplémentaire à Québec (Grand théâtre, le 4 mars) et partout au Québec lors des prochains mois.

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