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vendredi, décembre 18, 2015

Si Justin Trudeau pouvait parler à Justin Trudeau

http://www.journaldequebec.com/

JOSÉE LEGAULT
MISE à JOUR 
Les réactions, il faut le dire, ne sont pas très nombreuses, mais elles sont fulgurantes.
Ce mercredi, le premier ministre libéral Justin Trudeau a tracé un parallèleoutrancier entre les élucubrations populistes d’extrême-droite et ouvertement islamophobes de Donald Trump – meneur dans la course à l’investiture républicaine pour la présidentielle américaine -, et la très défunte «charte des valeurs» du très défunt gouvernement péquiste de Pauline Marois :
«Je crois que personne ne sera surpris d'entendre que je suis contre la politique de la division, la politique de la peur, la politique de l'intolérance ou la rhétorique de la haine. (...) J'ai clairement pris position contre cela dans la charte des valeurs, les enjeux de division mis de l'avant par l'ancienne première ministre du Québec. J'ai fermement pris position contre les jeux dangereux joués par l'ancien gouvernement avec le voile et les enjeux de citoyenneté.»
Ouf...
Pis encore, si l’on peut dire, est le fait que le premier ministre s’est néanmoins donné la peine de refuser de commenter publiquement les positions pourtant clairement xénophobes de Donald Trump en se limitant à condamner les leaders politiques qui défendent des «politiques de la peur». Le tout, alors que d’autres chefs d’État occidentaux ne se sont pas privés, eux, de dénoncer fortement Donald Trump. Y compris le premier ministre conservateur du Royaume-Uni, David Cameron.
Cela dit, il est vrai que la charte des valeurs de Pauline Marois était avant tout une stratégie électoraliste mal avisée et de toute évidence d'inspiration «wedge politics» - politique de la polarisation. Cette stratégie fut d'ailleurs dénoncée publiquement par de nombreux souverainistes, dont les ex-premiers ministres Jacques Parizeau et Lucien Bouchard. Après la défaite historique du Parti québécois en avril 2014, la charte fut également désavouée par des ex-députés et des ex-ministres du gouvernement Marois.
Car il est aussi vrai que cette stratégie «identitaire» a lamentablement échoué.
Toute comparaison avec l’islamophobie décomplexée de Trump n’en est pas moins irrecevable à sa face même.
Voici d’ailleurs ce que j’écrivais en septembre 2013 sur le caractère «xénophobe» ou non de la charte des valeurs :
«(...) il importe de noter que la motivation du gouvernement (Marois) est essentiellement électoraliste et non pas xénophobe. Il n’y a pas de Front national version québécoise dans notre parlement. Qui plus est, selon certains sondages, l’«opinion publique» au Canada anglais serait également divisée sur ces sujets sensibles.
Au Québec, par contre, la question se pose autrement.
La «proposition» d’une interdiction à géométrie variable des signes religieux pour régler un «problème» que le gouvernement refuse de démontrer, aura-t-elle malgré tout l’effet d’alimenter un sentiment d’exclusion au sein de certaines communautés québécoises?
Bref, sans que sa motivation ne soit xénophobe, son annonce risque-t-elle toutefois de produire le même effet?
Y aura-t-il dommages collatéraux sur ce plan majeur du même «vouloir-vivre» ensemble? La ligue des droits et libertés exprime déjà cette inquiétude. En cela, elle ne sera ni la première, ni la dernière.»
 
***
Bref, prêter une motivation xénophobe à cette charte ne tient pas la route.
C’est pourquoi la comparer aux horreurs islamophobes qui sortent régulièrement de la bouche de Trump, c’est carrément grossier.
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Or, cette semaine, Justin Trudeau lançait cette perle de sagesse en entrevue avec le magazine Maclean’s : «la peur ne nous rend pas plus en sécurité, elle nous affaiblit».
Là-dessus, le premier ministre a tout à fait raison. Sur toute la ligne.
Tout comme il a raison lorsqu’il répète depuis des mois sur toutes les tribunes que la «peur», la «division», la «mesquinerie» et la «méchanceté»  qui ont marqué les années Harper ont fait énormément de tort au climat politique et à la population elle-même.
Maintenant, si seulement ce Justin Trudeau-là pouvait l’expliquer au Justin Trudeau qui compare la défunte charte des valeurs à l’islamophobie assumée d’un Donald Trump, peut-être que le premier ministre éviterait à l’avenir de verser lui-même de la sorte dans la «division», la «peur», la «mesquinerie» et la «méchanceté».  
Être opposé fortement au projet politique indépendantiste est une chose tout à fait cohérente pour un premier ministre canadien.
Pour le faire,  cela ne nécessite toutefois en rien d'aller jusqu'à placer des souverainistes qui, même à tort, ont défendu cette charte des valeurs au détriment même de l'unité de leur propre mouvement, sur un pied d’égalité en matière de xénophobie avec un Donald Trump, ce haut-parleur inquiétant d'une extrême-droite montante.
La démagogie n’est jamais une réponse sage.