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dimanche, août 02, 2015

Le mirage capitaliste

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Nouveau salon, nouvelle cuisine, nouveaux vêtements, nouvelle piscine. Tout cela pour affirmer son statut social, pour avoir l’air aussi riche que le voisin.


Mathieu Bock-Coté
Officiellement, Le Mirage, le dernier film de Ricardo Trogi, écrit par Louis Morissette et François Avar, est une comédie. Et de fait, il est très drôle. Ou plus exactement, grinçant.
Car on rit jaune tellement il s’agit d’une critique brutale du capitalisme dans ce qu’il a de maniaque. Plus largement, c’est la société au complet qui y passe. Quiconque verra le film y recon­naîtra le délire contemporain.
Le portrait est simple. Patrick est un homme d’affaires de la Rive-Sud de Montréal moins prospère qu’il ne le souhaiterait. Non pas qu’il soit pauvre. Mais il n’a pas les moyens de vivre aussi richement qu’il le désirerait. Ou plutôt, que sa femme en burnout le voudrait et qui pense combler le grand vide de son existence par l’achat compulsif de biens de consommation. Rien ne sera jamais satisfaisant.
Surconsommation
Nouveau salon, nouvelle cuisine, nouveaux vêtements, nouvelle piscine. Il n’y a jamais de pause. Tout cela pour affirmer son statut social, pour avoir l’air aussi riche que le voisin. C’est ainsi que l’on confirme sa valeur dans l’existence. Comme on dit, on croit posséder des choses, mais ce sont les choses qui nous possèdent. Alors on s’endette, on étouffe, on ne parvient plus à garder la tête hors de l’eau. Tout cela finira par éclater.
Il faut dire que leur vie conjugale est misérable. Mais comment pourrait-il en être autrement? La vie les écrase. Les enfants ne respirent pas: il faut toujours les conduire à un cours, à une activité, à une fête, à une partie de soccer. On les croirait à l’armée. La famille n’est plus un havre, mais une prison. Ils ne jouissent pas de l’existence, ils s’essoufflent. Elle, on l’a dit, compense dans la consommation. Lui se réfugie dans le porno, alimentant des fantasmes primaires.
Leur famille n’est pas un havre. Mais une prison. La seule liberté de Patrick, en dernière instance, c’est de se réfugier dans son garage et de courir sur un tapis roulant, dans le vide. Pendant quelques minutes, il s’échappe. Il a aussi la nostalgie d’un chalet tout simple, une roulotte en fait, où il trouvait son bonheur. Il rêve d’une existence qui serait officiellement moins parfaite, mais dans les faits moins compliquée, où on lui ficherait un peu la paix.
Un constat
Le Mirage ne milite pas. Il n’arrive pas avec une réponse ou un program­me pour nous sauver. Il nous montre simplement à quel point nous vivons dans une société qui ne tient pas la route. Qui a perdu la tête. Nous nous croyons, aujourd’hui, dans la société la plus libre de l’histoire humaine. La plus évoluée. La plus heureuse. Elle en est tellement convaincue qu’elle est imperméable à la critique.
Dans les faits, notre société ne s’endure pas à froid. La surconsommation, le porno, les sports extrêmes, la dro­gue, les antidépresseurs sont autant de manières de s’en déprendre un peu, de se délivrer d’une tyrannie qui ne dit pas son nom. Il ne s’agit pas de chanter la simplicité volontaire et la beauté des petites choses ni de se replier vers un idéal ascétique.
Mais chacun devra trouver une manière de se libérer de ce carcan.