Annonce

jeudi, août 27, 2015

Le Bloc et la base indépendantiste

http://www.journaldemontreal.com/

Mathieu Bock-Coté
  Le dernier slogan du Bloc est dénué d’ambiguïtés : «Qui prend pays prend parti». Il entend mobiliser la base indépendantiste et surtout, la détourner du NPD. Il faut distinguer la base indépendantiste de l’ensemble des sympathisants souverainistes. La première fait environ 25% et croit la question nationale fondamentale. À chaque fois qu’elle vote, elle se pose d’une manière ou d’une autre la question du pays. Les sympathisants souverainistes qui font monter le camp du Oui à 40% et des poussières veulent bien se dire favorables au pays, mais d’autres considérations dominent leurs préférences électorales, surtout en ce moment.
Cette stratégie est-elle la bonne? Probablement. À condition qu’on reformule la question en se demandant s’il y en avait une autre possible. Et la réponse est non. Qu’on le veuille ou non, le NPD a le vent dans les voiles au Québec. D’un sondage à l’autre, il confirme son hégémonie électorale. À peu près étranger au Québec il y a quatre ans, condamné pendant plusieurs décennies à la marginalité politique, il s’impose désormais comme la principale voix politique québécoise sur la scène fédérale. À travers lui, manifestement, les Québécois ont l’impression de se faire valoir comme société distincte. On peut leur reprocher mais c’est ainsi.
Il y a bien des manières d’expliquer cela. Mais on peut isoler, dans les circonstances, une explication particulière. On paye peut-être le prix en ce moment de la diabolisation de Stephen Harper. Depuis près d’une décennie, on l’a présenté comme un monstre absolu, un tyran sans foi ni loi, un taliban du grand noir, un gredin, un truand, un bandit. Ce n’était pas seulement un mauvais premier ministre, ou un homme gouvernant le Canada à partir de l’Ouest et en négligeant les intérêts du Québec: c’était un homme mauvais, conspirant à peu près consciemment contre la planète et contre l’humanité.
La conclusion tombe alors abruptement. Il n’y a plus qu’une chose à faire : il faut chasser Harper, le battre à tout prix. Il faut en finir avec lui. Une bonne partie de l’électorat en est là. Une bonne partie des sympathisants souverainistes aussi. On a beau faire valoir d’autres considérations électorales, la même sentence tombe toujours : en ce moment, il s’agit d’en finir avec les conservateurs. Et pour cela, mieux vaut voter pour des «progressistes» de gouvernement, comme le NPD, que pour des «progressistes d’opposition», comme le Bloc – d’autant que le réflexe qui pousse à voter Bloc, quoi qu’on en dise, est nationaliste avant d’être progressiste.
Étrange conclusion : cela revenait-il à dire que sans Stephen Harper, le Canada était soudainement tolérable, et même, habitable et agréable? Il suffirait d’en finir avec ce vilain premier ministre pour en faire à nouveau le pays du peuple québécois? On oubliait ainsi peu à peu de critiquer le régime pour critiquer exclusivement le gouvernement canadien et plus encore, l’homme qui était à sa tête. On contribuait ainsi à vider la question nationale de sa substance, à la rendre incompréhensible. Le problème ne serait plus l’appartenance du Québec au Canada, ou les termes désavantageux de cette appartenance: ce serait le chef du gouvernement canadien.  
Le Bloc peut bien répondre que le Québec a beau avoir massivement voté NPD en 2011 sans que cela n’empêche les conservateurs de devenir majoritaires, l’argument ne semble pas trop percer les consciences. Il confirme pourtant ce que nous savions déjà: le Canada anglais est désormais délivré politiquement du fardeau québécois. Il peut se bâtir une majorité électorale conservatrice sans l’appui du Québec. En un mot, la minorisation politique du Québec est achevée dans un pays qui, de toute façon, n’a pas voulu reconnaître son identité. Et si le NPD l’emporte, il devra gouverner en fonction des intérêts canadiens. Mais pour l’instant, cela indiffère les Québécois.
Longtemps, le Bloc a joué la carte de la défense des intérêts du Québec. C’était la force politique dominante au Québec et le nationalisme, à ce moment, se canalisait encore pour l’essentiel vers l’option souverainiste. Aujourd’hui, le nationalisme, ou ce qui en reste, s’est détaché de l’obligation souverainiste. L’appel aux intérêts du Québec ne fonctionne vraiment qu’à condition que le Québec soit conscient de la situation précaire de ses intérêts dans le Canada. Le bassin d’électeurs susceptible d’entendre le message du Bloc régresse. On comprend dès lors son appel direct aux souverainistes les plus convaincus: eux seuls peuvent vraiment voter pour lui cette fois. Il n'est pas certain, toutefois, que tous les leaders indépendantistes voudront faiire de cette élection un test pour leur option.