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mercredi, juillet 22, 2015

Kazakhstan : la fin du mystère du "village endormi"

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Après des mois de recherches, les scientifiques auraient enfin trouvé l'origine des pertes de connaissance des habitants de Kalachi. Explications.


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Publié le  | Le Point.fr

Photo d'illustration. Pendant des mois, le village de Kalachi s’est prêté à une série de tests  bactériologiques et viraux, à des études du sol, de l’eau, de l’air, pour tenter  d’éclaircir le mystère.

« J'étais en train de traire mes vaches comme d'habitude, tôt le matin, et je me suis endormie. Je ne me souviens de rien. Lorsque je me suis réveillée, j'étais dans une chambre d'hôpital et des infirmières me souriaient. Je venais de dormir deux jours et deux nuits. » En février 2015, un petit village du nord du Kazakhstan fait la une de la presse internationale. On le baptise déjà « Sleepy Hollow » ou « le village endormi », et la psychose ne tarde pas à gagner tout le pays. Kalachi est en effet victime depuis 2010 d'une étrange épidémie que le Siberian Times ne manque pas de chroniquer au quotidien : certains de ses habitants – près de 150 à ce jour – subissent d'étranges endormissements et des pertes de connaissance pouvant parfois durer plusieurs jours.
Pas besoin de séjourner bien longtemps dans le village pour faire les frais de ce curieux phénomène. Alexey Gom était juste venu passer le week-end chez sa belle-mère : « J'ai allumé mon ordinateur portable, un matin, pour terminer un travail, j'ai ouvert les documents que je voulais lire, et c'est tout. C'est un peu comme si quelqu'un avait appuyé sur l'interrupteur pour m'éteindre. Je me suis réveillé plus de trente heures plus tard, à l'hôpital. Mes examens n'avaient rien d'anormal », confiait-il en février à la presse locale. Détail effrayant, les personnes âgées et les jeunes enfants sont aussi victimes d'hallucinations. « Maman à trois yeux », « monstres rampants sur les radiateurs »… Les médias se gargarisent de témoignages paranormaux et de détails morbides.

Monoxyde de carbone

Mais le mal est bien là, et des équipes de scientifiques et d'experts se pressent pour percer à jour les origines du sortilège. Pendant des mois, le village s'est ainsi prêté à une série de tests bactériologiques et viraux, à des études du sol, de l'eau, de l'air, du sang, des tissus, et à des ponctions de moelle épinière pour tenter d'éclaircir le mystère. On a d'abord soupçonné les effets sédatifs de la vodka frelatée. Mais comme les enfants sont aussi touchés, l'hypothèse est rapidement écartée. D'autres experts ont bien évoqué un trouble d'origine psychologique, une sorte de psychose de masse… Las. C'est bien la ville fantôme de Krasnogorsk, à quelques kilomètres seulement de Kalachi, qui hantait tous les esprits. Cette ancienne mine d'uranium, laissée à l'abandon depuis sa fermeture précipitée en 1991, contient en effet du gaz radon. Mais, comme le faisait remarquer au Siberian Times l'anesthésiste Kabdrashit Almagambetov, qui a lui-même soigné certaines victimes de Kalachi, « lorsqu'on utilise des gaz proches du radon sur des patients, ils se réveillent au maximum une heure après l'opération. Là, le sommeil peut durer deux à six jours ! Quelle est donc la concentration de ce gaz ? Et comment expliquer que deux personnes résidant sous le même toit ne soient pas affectées de la même façon ? »
Après des mois de flottement scientifique et d'explications battues en brèche, le Premier ministre, Berdybek Saparbayev, a enfin mis un terme aux spéculations les plus farfelues. Lors d'une conférence de presse donnée début juillet dans la capitale Astana, il désignait ainsi le coupable : « Nous avons reçu la confirmation, par les laboratoires, que la cause principale de la maladie de Kalachi est le monoxyde de carbone. Lorsque le monoxyde de carbone et les niveaux d'hydrocarbure augmentent, les niveaux d'oxygène chutent dans le village. La mine d'uranium a été fermée après l'effondrement de l'Union soviétique, mais, à l'évidence, elle a encore des effets négatifs sur l'atmosphère. »

Trois facteurs

Comment expliquer alors que les prélèvements effectués à Krasnogorsk n'aient rien donné ? Le directeur adjoint du Centre national de sécurité nucléaire, Sergei Lukashenko, apporte un élément de réponse dans l'Astana Times : « Le phénomène est dû à trois facteurs : le manque d'oxygène associé à un excès de monoxyde de carbone et d'hydrocarbure. Pris isolément, chacun de ces composants est à un niveau normal. C'est pourquoi nous avons mis du temps à comprendre. C'est en fait la combinaison des trois facteurs qui est dangereuse. » « Beaucoup de structures en bois ont été utilisées lorsque la mine était encore en activité, a-t-il ajouté. Après sa fermeture, le bois est entré en contact avec de l'eau, ce qui a créé du monoxyde de carbone. Et le gaz toxique s'est peu à peu répandu dans l'atmosphère. »
Une hypothèse qui semble plausible au Dr Bertrand de La Giclais, membre de la Société française de recherche et de médecine du Sommeil (SFRMS) : « Les gaz émis par d'anciennes mines peuvent en effet provoquer des encéphalites aiguës toxiques. Il ne s'agit pas de narcolepsie mais bien d'une forme de coma. » Si le village est désormais soulagé, une question continue néanmoins de hanter les conversations : pourquoi le gaz ne se manifeste-t-il que maintenant ? Comment se fait-il qu'il y ait encore tant de monoxyde de carbone alors que la mine est inactive depuis les années 1990 ? Comment a-t-il pu s'échapper en si forte quantité ? En attendant de pouvoir répondre à ces questions, soixante-huit familles ont déjà été relogées et les derniers villageois de Kalachi et de Krasnogorsk seront évacués dans les mois qui viennent. Ils peuvent désormais à nouveau dormir tranquilles.