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jeudi, juin 04, 2015

Un pays, une province, un peuple

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Jacques Parizeau
PHOTO D'ARCHIVES

Mario Dumont
Alors qu’il était chef de l’opposition, Jacques Parizeau avait accordé une entrevue au magazineL’Actualité et l’une de ses affirmations m’est revenue à l’esprit ces dernières heures. Il affirmait ne pas être intéressé à occuper la fonction de premier ministre d’une province. Son rêve consistait exclusivement à diriger le nouveau pays du Québec.
Cette conception des choses est ressortie à différents moments de sa carrière et, finalement, il a agi en conséquence en quittant son poste de premier ministre dans les heures suivant la défaite référendaire. Là-dessus, comme sur bien d’autres points, je ne peux qu’être admiratif de la formidable cohérence du personnage et du courage qu’il lui a fallu.
L’adéquation parfaitement géométrique des paroles, des pensées et des actions de monsieur Parizeau a été soulignée avec raison dans les témoignages suivant sa disparition. Cette façon de
vivre la politique témoigne d’un engagement total et sincère de sa part.
Premier ministre de quoi ?
J’avais néanmoins trouvé curieuse cette déclaration de Jacques Parizeau il y a plus de 20 ans. Au fil des années, j’y ai souvent repensé, notamment en écoutant des discours souverainistes. J’ai toujours eu un malaise et je continue aujourd’hui d’être heurté par cette façon d’exprimer le refus d’être «premier ministre d’une province».
Celui ou celle qui remporte les élections, qui gagne la confiance des Québécois, devient premier ministre de quoi au juste? Devient-on premier ministre d’une entité juridique? Si oui, le statut de province ou de pays devient crucial. Où devient-on plutôt le premier ministre du peuple québécois? Dans ce cas, on dirige les destinées d’une population.
Personnellement, ma réponse à cette question demeure sans équivoque. On devient le premier ministre d’un peuple. D’ailleurs, n’est-il pas naturel pour un nouvel élu de lancer cet appel dans son discours de la victoire: «Je serai le premier ministre de tous les Québécois.» Présider aux destinées d’un peuple, c’est énorme: porter ses espoirs, transporter sur ses épaules toutes les misères, préparer son avenir, faire son bout dans la course à relais de l’histoire. Pour celui qui dirige le Québec, il faut ajouter la protection d’une langue et d’une culture tellement minoritaires sur le continent.
Peuple libre
Bien sûr, il est légitime pour un premier ministre issu du Parti québécois de souhaiter que ce peuple qu’il dirige change de statut politique et juridique, qu’il accède au statut d’État souverain. La proposition a été faite à deux reprises. En posant la question, il faut accepter la réponse. Le peuple québécois a choisi de dire non.
En disant non, le Québec est évidemment demeuré une province du Canada. Cela ne signifie pas que rien n’a changé. Beaucoup de péquistes oublient de mesurer à quel point les Québécois sont devenus souverains dans leur tête. Choisir de dire non au statut d’État souverain en le faisant librement dans l’isoloir, ni sous la menace ni à la pointe d’un fusil, après en avoir débattu des mois, c’est l’expression d’une souveraineté bien réelle.
Trop déçu de ne pas avoir amené la souveraineté du Québec, monsieur Parizeau n’a peut-être pas pleinement réalisé que le Québec vit aujourd’hui comme un peuple libre de ses choix.