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vendredi, mai 15, 2015

L'accès à l'information bafoué par la GRC et le gouvernement Harper

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Mise à jour le jeudi 14 mai 2015 à 14 h 02 HAE

La GRC blâmée pour la destruction de données du registre des armes d'épaule

La Gendarmerie royale du Canada a violé la Loi d'accès à l'information en détruisant sciemment des données du registre des armes d'épaules qu'elle devait divulguer à un citoyen, conclut la commissaire à l'information du Canada.
Dans un rapport déposé jeudi matin, la commissaire Suzanne Legault indique qu'elle a informé le procureur général du Canada, Peter Mackay, de cette « obstruction possible », mais en vain : elle n'a obtenu aucune réponse.
Le ministre canadien de la Sécurité publique Steven Blaney a refusé pour sa part de donner suite aux trois recommandations que lui avait faites la commissaire Legault dans le cadre de cette affaire et a refusé d'adhérer aux conclusions de la commission.
« Après une longue enquête, j'ai conclu que la GRC n'avait pas divulgué dans sa réponse tous les documents conformément à la loi. [...] J'ai également conclu que la GRC avait détruit des documents répondant à la demande avec la connaissance que ces documents étaient sujets au droit d'accès garanti par le paragraphe 4 (1) de la Loi. »— Suzanne Legault, commissaire à l'information du Canada

La commissaire Legault souligne en outre que le projet de loi C-59, actuellement à l'étude à la Chambre des communes, prévoit d'empêcher l'application de la Loi sur l'accès à l'information de façon rétroactive au 25 octobre 2011. Il s'agit d'un « précédent dangereux », prévient-elle. 
Si la loi est adoptée, prévient Suzanne Legault, elle aura pour effet de « répudier le droit d'accès du plaignant [...] et ses recours devant les tribunaux et de dégager la responsabilité potentielle de la Couronne dans ce dossier ». Le projet de loi prévoit en effet d'accorder l'immunité à la GRC pour les gestes posés dans cette affaire. 
La commissaire à l'information du Canada, Suzanne Legault (archives)La commissaire à l'information du Canada, Suzanne Legault (archives)  Photo :  PC/Sean Kilpatrick/CP
En attendant des développements dans cette affaire, la commissaire Legault a décidé, avec l'accord du plaignant, de demander à la Cour fédérale une révision de la décision du ministre Blaney.
Toute cette affaire trouve son origine dans une demande d'accès à l'information envoyée à la GRC par un citoyen le 27 mars 2012, soit quelques jours avant que la loi abolissant le registre n'entre en vigueur, le 5 avril suivant. En voici les grandes lignes :
  • 27 mars 2012 : le plaignant demande une copie électronique de tous les registres et fichiers relatifs à l'enregistrement des armes à feu qui se trouvent dans le registre (autre que les armes à feu prohibées ou les armes à feu à autorisation restreinte;
  • 13 avril 2012 : la commissaire à l'accès à l'information écrit au ministre de la Sécurité publique Vic Toews pour le prévenir que les documents demandés « sont assujettis au droit d'Accès et ne peuvent être détruits avant qu'une réponse ait été fournie »;
  • 2 mai 2012 : le ministre Toews répond à la commissaire : « Soyez assurée que la GRC respectera le droit d'accès décrit à l'article 4 de la Loi et ses obligations en la matière »;
  • 25 au 29 octobre 2012 : la GRC détruit tous ses dossiers électroniques d'armes à feu, exception faite de ceux concernant les résidents du Québec, en raison d'une contestation judiciaire du gouvernement provincial;
  • 11 janvier 2013 : la GRC répond au plaignant en lui fournissant 16 colonnes de renseignements (marque, modèle, fabricant, type, mécanisme, classe, longueur du canon, calibre, coups, date d'enregistrement, province, code postal, type de client, date de vol de l'arme à feu, date de perte de l'arme à feu, date de récupération);
  • 1er février 2013 : le demandeur porte plainte à la commissaire à l'information. Il allègue 1) que les renseignements sont incomplets; 2) que la GRC n'a pas justifié sa réponse incomplète; et 3 ) que la GRC a entravé son droit d'accès en détruisant les données répondant à la demande;
  • 26 mars 2015 : la commissaire Legault écrit au ministre Blaney pour l'informer que la plainte du citoyen est fondée pour les trois griefs. Elle lui demande 1) de traiter l'information relative à l'enregistrement d'armes à feu sans restrictions dans la province de Québec (64 colonnes d'informations plutôt que 16); 2) de traiter toutes les images des demandes d'enregistrement et de transfert qui existent dans le système et de les envoyer au plaignant, et 3 ) de préserver ces documents jusqu'à la conclusion de son enquête. La commissaire écrit au ministre MacKay, qui ne répondra pas.
  • 10 au 13 avril 2015 : dans la foulée de la décision de la Cour suprême du Canada, qui déboute le gouvernement du Québec, la GRC détruit sa base de données sur les dossiers d'armes à feu sans restrictions des résidents du Québec. Une copie de sauvegarde, effectuée en vue d'une décision favorable au gouvernement du Québec, existe toutefois.
  • 30 avril 2015 : le ministre Blaney répond à la commissaire. « Comme il est indiqué dans la lettre adressée à vous par la GRC, en date du 20 février 2015, il est soutenu que le demandeur a reçu les renseignements qui répondaient à la demande. En raison de l'évaluation de la GRC, je n'ai pas l'intention de donner suite à vos deux premières recommandations d'ordonner à la GRC de traiter des données supplémentaires. Il semblerait que la GRC a répondu à votre troisième recommandation en préservant une copie des fichiers pertinents, afin de vous aider dans votre enquête qui n'est pas disponible aux services de l'application de la loi ni aux contrôleurs des armes a feu. »
Les conclusions de la commissaire Legault

  • la GRC a détruit des documents dans la base de données du Système canadien d'information relativement aux armes à feu qui étaient visés par la demande d'accès à l'information du 27 mars 2012; la demande a été faite avant l'entrée en vigueur de la Loi sur l'abolition du registre;
  • la GRC a détruit ces documents même si elle savait qu'ils étaient visés par la demande d'accès en cours et par une enquête en cours;
  • la GRC a détruit ces dossiers malgré la lettre de la Commissaire à l'information du 13 avril 2012 adressée au ministre de la Sécurité publique et copiée au commissaire de la GRC, dans laquelle elle indiquait clairement que ces dossiers étaient assujettis au droit d'accès garanti par la Loi sur l'accès à l'information et ne pouvaient être détruits avant qu'une réponse ait été fournie au plaignant et que toute enquête ou action en justice ait été terminée;
  • comme la Commissaire à l'information l'a déterminé dans l'enquête de cette plainte, des millions de documents détruits par la GRC correspondaient à la demande d'accès à l'information, laquelle demeure en suspens.
La GRC affirme pour sa part qu'elle a coopéré à l'enquête de la commissaire, et qu'elle compte se défendre en cour. Elle affirme ne pas avoir agi illégalement.
Le gouvernement Harper défend les clauses controversées du projet de loi C-59
Réagissant à la publication du rapport de la commissaire Legault, le gouvernement Harper s'est borné à défendre sa décision d'inclure une clause destinée à empêcher l'application de la Loi sur l'accès à l'information de façon rétroactive au 25 octobre 2011 dans le projet de loi C-59.
« On dit qu'il y a un loophole [une échappatoire] dans la Loi sur l'accès à l'information qui doit être clarifié », a déclaré le premier ministre Stephen Harper en matinée. « C'est la seule chose que ce projet de loi fait. C'est essentiel de mettre fin à ce débat. »
« Notre gouvernement conservateur est fier d'avoir rempli son engagement de mettre fin au coûteux et inefficace registre des armes d'épaule une fois pour toutes », a renchéri le porte-parole du ministre Blaney, Jean-Christophe De Le Rue, dans une déclaration écrite envoyée aux médias un peu plus tard.
« Il était toujours possible d'accéder à des copies obsolètes du registre des armes d'épaule grâce à la loi sur l'accès à l'information en raison d'une échappatoire bureaucratique. La volonté du Parlement a été claire; toutes les copies du registre devaient être détruites. Cet amendement règle cette question. »
La commissaire Legault a néanmoins lancé un appel non équivoque à tous les députés qui seront appelés à se prononcer sur le projet de loi C-59.
« Chaque parlementaire qui devra voter sur ces dispositions dans ce projet de loi devra se lever ce matin, et lui ou elle devront se regarder dans le miroir et devront se demander si c'est possible, en toute intégrité, en toute éthique, en toute légitimité, en toute moralité, de voter en faveur de ces dispositions-là », a-t-elle déclaré, en marge de la publication de son rapport.